Les Archives de la Critique

Voir les critiques de Sfmag
Le site de Sfmag

 

 

C'est au cœur de ces pages que vous trouverez des critiques parues dans Phénix depuis sa création. Les auteurs sont rangés par ordre alphabétique.

 

A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z

 

A

AYERDHAL

AYERDHAL

MACNO

CONSCIENCES VIRTUELLES ***

La Baleine

 

Nouvelle série de romans pour les éditions La Baleine qui ont déjà commis " Le Poulpe ", cette série de romans-feuilletons-policier qui égaya Libération l’été dernier et qui a ouvert ses pages à toute une nouvelle génération d’auteurs français. Cette nouvelle série est, bien entendu, de SF. Mais, pour une fois, les Français s’attaquent à leur version du Cyberpunk. Le premier volume, pondu par Ayerdhal pourrait laisser espérer une bonne série si l’on ne connaissait pas encore le titre du deuxième volume à paraître, " Dose Létale à Lutèce-land " que l’on devra à Riton V.

" Consciences Virtuelles " est un excellent petit roman cyberpunk-politique mêlant gaillardement les mouvements politiques dissidents à la création d’une intelligence artificielle extraordinaire. Nous tenant en haleine jusqu’à la dernière page, Ayerdhal fait montre une fois de plus de son grand talent pour la SF politique et de sa passion pour l’Anarchie. Ses personnages restent toujours attachants, son histoire se tient, si les autres auteurs pouvaient s’inspirer de ses idées et de son talent, on tiendrait là une très grande série de SF. Il ne nous reste que l’espoir !

Sara Doke

 AYERDHAL

Mytale ****

J’ai Lu n° 4641

 

Ayerdhal écrit comme un dieu ! Ayerdhal a des idées extraordinaires ! Ayerdhal vous ficelle un roman comme un maître ! Ayerdhal a des idées politiques plus qu’intéressantes ! Bon, j’arrête. Tout ça pour dire que ce roman, comme le précédent paru chez J’ai Lu, " Parleur ", est une pure merveille. On a rarement lu meilleure science-fiction française, on a rarement vu meilleure analyse politique en SF. Bref, je suis conquise !

Mytale est une planète mutagène. Abandonnée par l’Impérium Galactique voici deux mille ans, elle a évolué selon ses habitudes et ses colons avec elle. Tant et si bien qu’aujourd’hui, au début du roman, la société qui l’occupe est plus que disparate. Cette société de castes extrêmement organisée, extrêmement séparationiste n’a plus aucune technologie et ferait peur à vivre. C’est en tout cas ce que va découvrir Audham En Tha, agent de la toute nouvelle Fédération Homéocrate envoyée avec un équipage de deux cents personnes découvrir ce qu’il est advenu de la planète et de ses riches minerais. Cette découverte, elle la fera seule car les 199 autres membres du voyage ont été décimés à l’atterrissage par une bande de guerriers à la " peau " de rhinocéros. Tout n’est que surprises sur Mytale où les castes cohabitent sans jamais chercher à se connaître, où la révolte gronde de mille petits foyers isolés mais où les terribles et immortels Evres maintiennent " l’ordre " d’une main de plastacier.

Ayerdhal est sans conteste un des plus grands auteurs français de sa génération, si ses autres romans sont de la même trempe, j’en remplirais bien ma bibliothèque. Sensible, intelligent, social, féministe, original, il ne peut s’empêcher de nous surprendre à chaque page, d’un trait d’humour ou d’émotion, d’une idée géniale aussi. Courez, volez, procurez-vous ce roman, c’est sans aucun doute un des meilleurs de l’année.

Sara Doke

 

 

B

Clive BARKER Serge BRUSSOLO Pierre BARBET Hans BEMMANN Terry BROOKS

Cathy BERNHEIM Pierre BORDAGE

Pierre BARBET

Les Cités de l’espace **

Claude Lefrancq Éditeur, collection Volumes

 

Comme le signale Jacques van Herp dans sa belle préface, Pierre Barbet fut l’un des rares auteurs français à être traduits et publiés aux États-Unis. À l’instar de Francis Carsac, dont les Éditions Lefrancq publient également les œuvres, Pierre Barbet (1925-1995) est un scientifique (il était pharmacien) dont l’œuvre allie la rigueur aux qualités de conteur. Il est particulièrement connu pour sa brillante fantaisie uchronique "L’Empire du Baphomet "(J’ai Lu). Dans son grand cycle "Les Cités de l’Espace" (1979-1985, publié initialement au Fleuve Noir), Barbet évoque l’envol de l’humanité, envol vers nos planètes proches, puis vers l’univers entier. Tout comme James Blish dans sa célèbre série des Villes nomades, il imagine, dans son premier volume "Oasis de l’Espace", un groupe d’immenses cités spatiales destinées à l'exploration, mais aussi à l’approvisionnement énergétique de la terre. Français, Américains et Russes y collaborent, laissant dans l’ombre les pays du tiers-monde. Ceux-ci, prophétiquement, se révoltent, et par le biais d’un commando, se rendent maîtres des cités. Le héros, Jacques Maurel, collabore tout en s’y opposant : tout cela fait furieusement penser à la Seconde Guerre mondiale (codes des résistants, option de collaborer ou non, etc.). Après une terrible guerre bactériologique, nos héros vainquent et défont les révoltés. Dans le second volume, "Cités des astéroïdes", la paix est faite, et le tiers-monde (Chine, Inde) a droit au chapitre. Les cités, devenues quasi indépendantes, se rebellent contre la tutelle terrienne. Où l’on retrouve l’obsession européenne de la (dé)colonisation. Mais les conditions sur terre se dégradent : destruction de la couche d’ozone, inversion des pôles, catastrophes et révoltes en tout genre. Un bref et hallucinant séjour sur notre planète, avec sa cohorte de malheureux honnêtes dominés par des gouvernants égoïstes, précède la bataille finale gagnée par les Oasis, qui finiront par reconstruire des écrans protecteurs autour de la planète-mère. La leçon est amère : " Si des êtres d’une même race se combattaient entre eux, qu’en serait-il avec des extra-terrestres ? " La conclusion, cependant, est plutôt optimiste : " Un avenir merveilleux s’ouvre pour l’humanité, à condition que, désormais, la guerre soit mise hors-la-loi. " Et le roman clôt par une nouvelle expérience : le clonage humain…

"Cités interstellaires" décrit le premier long voyage de l’humanité vers les étoiles. En effet, redoutant l’ennui créé par la paix (" une société sans idéal est vouée à la guerre ou à l’extinction "), les Cités ont construit un vaisseau gigantesque qui se dirige vers Eridan, une planète semblable à la terre. Après quelques épreuves (mutinerie, météorites, épidémie, trous noirs), l’équipage formé d’humains, mais aussi de psyborgs et de clones, arrive enfin, pour constater la présence effective d’extraterrestres humanoïdes : l’Homme n’est pas seul dans l’Univers ! Le contact avec la planète Eridan forme le sujet du volume suivant, "Les Colons d’Eridan". Intervenant tout d’abord avec prudence dans un monde antico-médiéval, les humains découvrent un continent déchiré par la guerre. L’un des humains tombe amoureux d’une belle autochtone et décide de rester, faisant profiter un clan de la technologie terrienne. L’intervention ouverte devient inévitable… Mais l’on découvre des traces d’une autre race dans les astéroïdes et, surtout, la race des " Maîtres " de la planète, vivant dans une gigantesque caverne (ah ! la Terre creuse…). Ces Maîtres n’ont créé les autochtones que comme test pour de futurs intervenants. Le test est concluant : les Terriens sont priés de partir !

 

Et c’est ainsi que nous arrivons au dernier roman du Cycle, "Cités biotiques". Où l’on voit nos colons voler au secours d’habitants cavernicoles situés à plus de 300 000 années-lumière, grâce à une sorte d’hyperespace. À nouveau deux races s’y affrontent mais cette fois, nos Terriens sauront découvrir les subterfuges et sauver qui il faut. Ce dernier livre est moins éloquent que les précédents, malgré quelques moments bien brossés (une jolie bataille de dinosaures sous-terrains entre autres, ou la description d’animaux de métal).

Ainsi se termine cette gigantesque fresque de plus de 650 pages, augmentée, dans la présente édition, d’un appendice scientifique sur la bionique, science qui s’efforce de recréer les mécanismes naturels (animaux, surtout) pour le bienfait de l’humanité. Fresque un peu datée sans doute, souvent lourdement didactique, et aux ressorts dramatiques trop artificiels. Reste un beau talent de conteur, beaucoup d’imagination, et surtout un inextinguible optimisme : ce n’est déjà pas si mal.

Bruno Peeters

 

Serge BRUSSOLO

Ce qui mordait le Ciel ****

Présence du futur n° 587

 

Employé de la Compagnie Intergalactique de Pompes Funèbres, David est envoyé sur la planète Sumar. Suite à une erreur, un produit fabriqué par son employeur, la sépulture implantée, a été injecté à des pachydermes expédiés sur cette planète. Quand un des animaux meurt, une montagne de cristal se forme autour de lui pour lui servir de cercueil… avec des conséquences catastrophiques pour la planète.

Imaginons un lecteur de SF et fantastique francophones ne connaissant pas Brussolo. Il parcourt cette morne plaine semée de livres dont la principale caractéristique est de soulager les insomniaques de leur croix et se demande comment des romans de 250 pages peuvent faire autant d’efforts pour en paraître 2 500.

Au détour d’un rayon, il aperçoit un livre d’un certain S. Brussolo. Le lecteur se dit qu’avec un pseudonyme pareil, l’auteur doit certainement être un comique. Pour se changer les idées – et se réveiller – le lecteur décide donc d’acheter le livre et de le lire. Et il prend le TGV en pleine figure !

Brussolo est au fantastique et la SF francophone ce que la supernova est au briquet jetable. Dans ce paysage d’écrivains pompeux, lourds et prétentieux, perdus au fond du gouffre de leurs nombrils, Brussolo fait figure de martien (d’aucuns le soupçonnent d’ailleurs d’en être un). Pourquoi ? Mais l’imaginaire, bon sang ! L’imaginaire ! N’est-ce pas là la seule caractéristique réellement propre à ce genre littéraire ? Et quelqu’un peut-il prétendre battre Brussolo à ce jeu ? Personne. Jamais.

Cela dit, si un jour vous rencontrez l’écrivain, ne commettez pas d’impair, Serge Brussolo est son nom véritable.

Et notre lecteur, qu’est-il devenu ? Les rétines fumantes, le cerveau en ébullition, il court chez le libraire, poussant une brouette, pour acquérir les autres Brussolo. Bienvenu au monde, bonhomme.

Alessandro Arturo

 Serge BRUSSOLO

LA PETITE FILLE ET LE DOBERMAN ***

Présence du Futur n° 557

 

Nathalie, 6 ans, et son doberman ont fui la maison parentale. Ils arrivent dans la ville d’Almoha où toute la vie tourne autour des terribles tempêtes qui dévastent régulièrement la planète. Les privilégiés peuvent bénéficier de la protection des maisons blindées ; les autres, dont Nathalie, sont condamnés à errer dans les rues en attendant que le vent les emporte. La petite fille trouve refuge dans un musée blindé et commence son exploration de la ville.

Paru il y a 10 ans sous le titre de " Abattoir-opéra ", ce livre représente typiquement les romans Brussoliens de cette époque. Touffu, riche, parfois déconcertant, " La petite fille et le doberman " est moins une histoire qu’une vitrine de l’imagination sans limite de l’écrivain. Les images foisonnent, déformées, détournées, (le musée, les culs-de-jatte, les " colmatés ",...). Elles s’entrechoquent de la première à la dernière page. Brussolo montre clairement le monde tel qu’il le voit, un monde de tous les jours, semé de repaires que tout lecteur reconnaîtra, mais filtré par les lentilles déformantes de l’art littéraire de l’auteur. Un exemple : les monuments d’Almoha sont inspirés de Paris, mais ne seraient que les squelettes d’animaux disparus. L’Arc de Triomphe serait un pachyderme, la Tour Eiffel un saurien au cou interminable. On imagine sans peine l’écrivain français déambulant dans la capitale et la voyant se transformer sous ses yeux.

Le lecteur habitué retrouvera également une noirceur de l’écriture typique de Brussolo, mais dont il semble s’être détaché dans ses œuvres plus récentes.

On regrettera toutefois que l’auteur prête parfois à son héroïne des dialogues peu vraisemblables dans la bouche d’une enfant de 6 ans, notamment lorsque celle-ci déplore à voix haute le vieillissement plus rapide des chiens que des humains.

Quoi qu’il en soit, comme à son habitude, Brussolo parvient à captiver le lecteur tout au long des pages et rien que pour cette raison l’achat de ce livre peut être conseillé.

Alessandro Arturo

 

Serge BRUSSOLO

Rempart des naufrageurs **

Présence du Futur n° 583

 

Santal est la planète des vents. Régulièrement, un cratère ouvert sur le centre de la planète aspire l’air de l’atmosphère, créant des tempêtes tourbillonnantes emportant tout sur leur passage, et contre lesquelles les santalites s’organisent comme ils peuvent. Ils prennent du poids, s’ancrent dans le sol, se déplacent dans des animaux très lourds, vivent sous terre, ...

David arrive sur Santal afin de vérifier s’il est possible d’y installer une colonie de vacances centrée sur les loisirs utilisant le vent (vol à voile, ...). Saba, une jeune fille cynthonienne, vient s’exposer au soleil de Santal afin de révéler des tatouages lui prédisant son avenir. Judith est représentante en produits permettant de prendre du poids rapidement.

Le trio se met en route vers le cratère, chacun avec ses objectifs.

" Rempart des naufrageurs " est le second volume du cycle de la planète des ouragans, le premier était " La petite fille et le doberman ". On retrouve d’ailleurs à un moment du récit Nathalie et le chien Cédric comme personnages secondaires dans le périple des protagonistes.

Comme d’habitude chez Brussolo, l’histoire n’est qu’un prétexte pour lui permettre de placer les images délirantes nées de son imagination décidément sans limite. À ce point, les amateurs seront une fois de plus comblés. La trame linéaire (le voyage du trio) permet au lecteur de passer d’une contrée à l’autre, d’une culture à l’autre, dans un univers sans cesse plus délirant et toujours très sombre.

La fin relativement ouverte laisse croire que le périple se poursuivra dans le troisième volume du cycle " Naufrage sur une chaise électrique ".

Quoi qu’il en soit, les amateurs de Brussolo ne seront pas déçus. L’ont-ils jamais été ?

Alessandro Arturo

 

Serge BRUSSOLO

Naufrage d’une chaise électrique ***

Présence du Futur n° 584

 

Ce troisième opus du cycle de la planète des ouragans permet au lecteur de retrouver Nathalie, l’héroïne du premier volume, et Cédric son Doberman en tant que protagonistes et plus comme personnages secondaires comme c’était le cas dans le second livre.

Nathalie s’est échappée de la maison dérivante où elle était maintenue prisonnière. Au hasard de ses pérégrinations, elle rencontre un groupe d’enfants que la tempête a surpris. Ensemble, ils vont essayer d’échapper aux prêtres du Saint-Allègement – déjà présents dans le premier tome – et dont la sainte mission consiste à catapulter à titre sacrificiel les gens vers le ciel, où ils sont happés par les vents de Santal et traînés vers le cratère à ouragans. Nathalie et sa troupe trouvent refuge sur une oasis de métal où des chevaux vivent et, en cas de tempête, s’ancrent par leurs sabots métalliques. Les prêtres s’arrêtent au bord de l’oasis et le siège commence.

Il est beaucoup moins question ici de Santal et du cratère. Brussolo nous conte – si c’est possible – un huis clos à ciel ouvert. Les enfants tentant de survivre sur la plaque de métal, la chaise électrique du titre. Une fois de plus, l’imagination prodigieuse de l’acteur transforme ce qui aurait pu n’être qu’une nouvelle diluée en un roman dense ne souffrant d’aucun temps mort. Par rapport aux deux volumes précédents, on remarquera une écriture beaucoup plus sombre, mais toujours très brussolienne.

Alessandro Arturo

Clive BARKER

Imajica ****

Pocket Terreur n° 9177 & 9187

 

Clive Barker est devenu, au fil de ses romans, le chantre des univers parallèles et des quêtes mystiques. Dans ce volumineux "Imajica", il a imaginé quatre empires réconciliés, où la magie et l’univers de la fantasy la plus époustouflante font bon ménage. La Terre pourrait devenir le cinquième Empire mais quelques sombres individus tâchent de réduire ce projet à néant.

En engageant Pie, un tueur à gages, afin de se débarrasser de son épouse, Estabrook ne se doute pas qu’il va être emporté dans le tumulte des mondes parallèles parce qu’il doit y accomplir une tâche quasi divine. D’aventures en aventures (le livre est difficilement racontable, c’est un récit à intérioriser et à vivre), Barker nous livre son catalogue revu et corrigé sur la religion, la sexualité, l’amour, la mort, les dieux… Étrillant la société et l’existence des hommes qui passent leur temps à manquer l’essentiel, l’auteur nous offre un hymne à l’horreur poétique, une cosmogonie mûrement réfléchie, tout autant qu’un pur régal stylistique. Chapeau bas !

Eric Albert

Hans BEMMANN

La Pierre et la Flûte, Livre Premier ***

L’Atalante

 

Le nom d’Hans Bemmann m’était parfaitement inconnu, et je ne pus le retrouver dans aucune histoire de la SF, ni dans l’Encyclopédie de Versins, ni même dans " Science-Fiction " de Dieter Wuckel, qui se penche beaucoup sur la SF allemande. D’après la couverture, l’auteur, né près de Leipzig en 1922, médecin, musicologue et philologue, fut bibliothécaire puis enseignant à l’université de Bonn, et écrivit plusieurs romans. Celui-ci est paru à Stuttgart en 1983 sous le titre " Stein und Flöte ". Il s’agit d’un très remarquable ouvrage de pure (high ? light ?) fantasy. Le jeune garçon Tout-Ouïe, sous l’emprise d’une belle aventurière nommée Gisa, commet un forfait : il juge arbitrairement Barlo, un humble palefrenier, et lui fait couper la langue. Durant trois ans, après avoir échappé à Gisa, il devra, suivant l’ordre du Doux Flûtiste son grand-père, suivre sa victime et apprendre à écouter Barlo, muet à présent, et qui ne s’exprime qu’au travers du chant de sa flûte. Au terme de nombreuses péripéties, ils parviendront à renverser Gisa et délivrer le pays de son oppression. Schéma très classique, comme vous le voyez. L’intérêt de ce livre (premier) ne réside pas vraiment dans sa thématique, mais dans les multiples rebondissements de l’action – très rapide -, dans les rencontres diverses effectuées par les deux compères, rehaussé par la saveur légendaire du récit, et, surtout, par les " histoires " qui régulièrement interrompent la trame. Neuf contes suspendent en effet le fil de l’intrigue, et apprennent aux héros différents aspects du monde qui les entoure. Grâce à ces contes, à une Pierre mystérieuse, et au pouvoir magique de la Flûte, Barlo et Tout-Ouïe parviendront au rire et à la déraison, seules armes capables de déjouer le destin qui les accable. Un très beau roman de fantasy (ce n’est pas si fréquent) allemand (ce l’est encore moins), qui donne furieusement envie de lire sa/ses suites, et de connaître l’identité précise de Hans Bemmann. Chaleureusement recommandé !

Bruno Peeters

 

 

Terry BROOKS

La boÎte à malice **

J’ai Lu n° 4510

 

Les amateurs apprécieront la sortie tant attendue de ce nouveau volume des aventures de Ben Holiday et de sa ravissante épouse, la sylphide Salica. Terry Brooks nous a habitués à son style iconoclaste et aux frasques folles de son héros. Il récidive à présent avec ce quatrième volume de la saga, mêlant joyeusement notre monde et celui plus fantastique du royaume de Landover.

Plein de rebondissements et de folies, " La boîte à malice " nous conte à la fois les aventures de Salica, à la recherche de la naissance de son enfant (ce qui est loin d’être simple pour une sylphide), et celle de Ben, à la recherche de lui-même. Tous les personnages sont réunis, pour cette foule de malentendus et autres délires. Tout cela parce que Horris Kew, le magicien exilé, a ouvert une mystérieuse petite boîte cachée dans les sous-sols de son manoir de l’État de New York. Que renferme-t-elle ? Où mènera-t-elle nos héros ? Nul ne le sait avant la fin du roman, alors ne comptez pas sur moi pour dévoiler ce mystère.

Les lecteurs avides de rigolades et de simplicité adoreront ce roman joyeux et fou ; sérieux, s’abstenir.

Sara Doke

Cathy BERNHEIM

Mary Shelley, la jeune fille et le monstre ***

Éditions du Félin

 

Frankenstein fascine, décidément. Plusieurs livres, en effet, paraissent actuellement, consacrés au mythe du Monstre Créé et à sa créatrice. Mary Shelley, ne l’oublions jamais, est l’auteur de " Frankenstein, or the modern Prometheus ", conçu en 1816 et publié deux ans plus tard par une jeune fille de vingt et un ans, livre fondateur de toute la science-fiction aux yeux de Brian Aldiss, thèse généralement admise aujourd’hui. Voilà pourquoi une biographie d’une certaine ampleur s’imposait. Et celle-ci est particulièrement bienvenue en ce sens qu’elle cerne bien la jeunesse de Mary, son amour insensé pour Percy Bysse Shelley (de nos jours finalement – et curieusement – moins connu que son amante) et les circonstances précises de la naissance et de la vie de son chef-d'œuvre immortel. Un seul regret : le peu d’attachement consacré à la vie ultérieure de Mary (soit après la mort de Shelley) et à son dernier roman " The Last Man ". Intéressante, par contre, est la partie médiane de l’ouvrage, reprenant en (nouvelle) traduction les passages essentiels du roman (avis au lecteur pressé !). Ensuite est abordé l’héritage littéraire du docteur Frankenstein (ne le confondons plus avec sa créature, s’il vous plaît !) : Jekyll, Moreau, Dracula même, et leurs avatars ultérieurs. En somme, un excellent bouquin, non scientifique peut-être, ni exhaustif, mais très attrayant. L’on y apprendra plus sur Mary Shelley que sur le Monstre, mais, finalement, c’en était l’objectif premier. Pour tout passionné des origines de la science-fiction, cette monographie est importante et digne de figurer dans sa bibliothèque. Il restera, bien sûr, à relire " Frankenstein ". Les extraits figurant dans cet ouvrage mettront l’eau à la bouche de bien des lecteurs de prime abord sceptiques…

Bruno Peeters

 

Pierre BORDAGE

Les Aigles d’Orient ****

L’Atalante

 

Après la parution du premier volume de Wang, " Les Portes d’Occident", Pierre Bordage nous offre le second tome tant attendu.

Au XXIIIe siècle, le monde tel que nous le connaissons n’existe plus. Après un cataclysme nucléaire qui a ravagé les pays nordiques, l’immigration intensive venue d’Asie, d’Afrique et d’Amérique du Sud et l’anéantissement de l’Australie, l’Occident (Europe de l’Ouest et Amérique du Nord) s’est réfugié sous un dôme protecteur, un champ de force colossal, le REM. Ainsi protégé, l’Occident s’est développé dans tous les secteurs de l’économie, de la médecine et de l’informatique. Mais la corruption, la barbarie, l’ennui font rage dans un protectionnisme outrancier et raciste. Pour davantage de sensations, les hommes se sont câblés : les sensors sont nés. La machine devient toute-puissante.

En Orient, Wang, un jeune Sino-Russe poursuivi par des tueurs à la solde de néo-triades, sous les recommandations d’une vieille jardinière du nom de grand-maman Li, passe par une porte permettant le contrôle et l’accès en Occident d’immigrés. Mais qui sait ce qui se passe au-delà du REM ? Nul n’en est jamais revenu ! Les immigrés serviront sous la contrainte de participer à des Jeux Olympiques Uchroniques dans lesquels les guerres sont reconstituées afin de divertir le peuple. Les jeux de rôles sont devenus des arts militaires à part entière.

Dans le second volume, Wang est devenu un homme à abattre, après être devenu le capitaine des armées du défendeur français, Frédric Alexandre. Grâce à Wang, deux guerres uchroniques ont été déjà remportées par la France. Les pays anglophones refusent d’admettre la supériorité des Français. Ils feront donc tout leur possible pour balayer Wang et tous les complots politiques seront permis. L’enjeu est de taille : il ne s’agit pas seulement de remporter une victoire, il s’agit surtout d’asseoir une hégémonie politique, économique et linguistique. En parallèle, un réseau clandestin de senso-libertaires cherche à s’affranchir du joug occidental. Il espère beaucoup en Wang pour abattre le REM, tout comme le souhaite grand-maman Li. Et lui aussi mettra tout en œuvre pour aider le jeune Sino-Russe.

" Les Aigles d’Orient ", bien meilleur que le premier tome, est un roman passionnant, palpitant, et comme on pouvait s’y attendre, surprenant, bouleversant, étonnant, d’une grande sensibilité. Il expose avec une grande précision une vision du monde et du chaos que nous mettons d’ores et déjà en place.

Au même titre que ses précédents romans " Les Guerriers du silence " et " La Citadelle Hyponéros ", récompensés respectivement par le Prix Julia Verlanger et le Prix Cosmos 2000, espérons que là encore Pierre Bordage, auteur aussi de la série " Rohel le Conquérant " aux Éditions Vaugirard, sera récompensé par le Grand Prix de l’Imaginaire, ce qui serait justice pour l’un des plus grands auteurs de la science-fiction française.

Olivier Bidchiren

 

C

Jonathan CARROLL Francis CARSAC RAMSEY CAMPBELL Arthur CONAN DOYLE

C.J. CHERRYH Christophe CORTHOUTS

Jonathan CARROLL

La morsure de l’ange ***

Denoël, coll. Présences

 

Où vont nos chers disparus ? Ne sont-ils, après leur mort, que les pantins d’une entité supérieure, cruelle et pétrie de suffisance ?

C’est la question que pose Jonathan Carroll dans son dernier roman publié en français. Un roman tout en douceur, poésie et réflexion, poli d’un vernis macabre propre à donner le frisson.

Wyatt Léonard, ex-star du petit écran, se morfond en attendant la mort, qu’une leucémie en phase terminale va bientôt lui offrir.

Arlen Ford, star hollywoodienne, s’est retirée du show-business, lasse de déceptions et de la fatuité de son existence. Elle réside en Autriche où elle s’attache à retrouver un semblant de sérénité.

Wyatt Léonard, ainsi que d’autres quidams qu’il rencontre lors d’un voyage en Autriche, possède la faculté de poser, par l’intermédiaire de rêves, des questions à une version personnifiée de la Mort. Chaque question posée reçoit réponse mais il y a un prix à payer : si le mortel ne peut comprendre pleinement les affirmations de la mort, celle-ci laisse sur leur corps les stigmates de leur ignorance, écourtant par là-même la durée de vie des inlassables curieux. Mais qu’a à perdre Wyatt Léonard dans cette aventure : ne serait-il pas préférable de partir plus rapidement avec le savoir de ce qui se passe de l’autre côté plutôt que de crever à petit feu dans l’ignorance absolue ?

Arlen Ford, quant à elle, rencontre un journaliste, Leland Zivic, qui couvre les périlleux événements de la Yougoslavie à feu et à sang. Elle en tombe amoureuse, retrouve un goût de vivre, un sens à sa vie, sans se douter qu’en fait, Leland Zevic cache un secret intolérable, et qu’elle flirte avec…

Réunis par un hasard complaisant, Wyatt et Arlen entameront ensemble un voyage ésotérique, mystique et philosophique, à la rencontre de la Grande Faucheuse dont ils parviendront à percer la nature et à démasquer les raisons de la cruauté du jeu du chat et de la souris auquel elle se livre depuis toute éternité avec les hommes.

Le roman de Jonathan Carroll, se démarque de la production habituelle du fantastique : ici, pas de sang, de monstres hideux, de scènes insoutenables au sens visuel du terme. L’exploration de la question qui nous interpelle tous à un moment ou l’autre de notre existence, produit, au fil d’une lecture magnifiée, un sentiment de malaise, de peur diffuse.

Un récit qui secoue et ouvre le champ à la réflexion. Un livre qui nous laisse au bord de l’abîme…

Eric Albert

 

Francis CARSAC

Œuvres complètes II ***

Claude Lefrancq, collection " Volumes "

 

Dans une précédente livraison, je vous ai longuement parlé de Francis Bordes, le préhistorien/auteur de romans et de nouvelles de science-fiction sous le nom de Francis Carsac. Voici le second et dernier tome de ses œuvres complètes, que les Éditions Lefrancq ont eu l’excellente idée de rééditer.

Il comprend tout d’abord deux romans jadis célèbres. Le premier " Terre en fuite " (1960) nous conte, narrée par un de nos lointains descendants, l’épopée prodigieuse de notre planète, accompagnée de Vénus, fuyant l’explosion du Soleil. Mise sur orbite, elle entame un voyage fantastique, à la recherche d’un asile… E.R. Burroughs (pour le sens haletant de l’aventure) et O. Stapledon (pour la vision cosmique), l’ouvrage se lit avec plaisir. Le second, plus connu, " Pour patrie, l’Espace ! " (1962), est très différent, quoique tout aussi original. Tinkar, officier de l’Empire, est perdu et va mourir. Il sera récupéré in extremis par " le peuple des étoiles ", sortes de nomades de l’univers, ayant érigé une civilisation autonome, vaguement utopique, en guerre avec les Mpfifis, aussi cruels que les Misliks de " Ceux de nulle part ". Amours et duels agrémentent sa nouvelle vie. Amoureux d’Anaena, la fille de Teknor, il aimera également Iolia, filles des " Pèlerins ", clergé présent sur le vaisseau, et les relations entre les deux femmes ne sont pas sans évoquer celles entretenues par les héroïnes d’Abraham Merritt… Tinkar reviendra sur Terre, mais pour repartir définitivement avec son nouveau peuple. Fin très philosophique et légèrement didactique. " La Vermine du Lion " (1967) est son dernier roman, précédé par deux nouvelles : " Dans les montagnes du destin " et " Les Mains propres ". L’ensemble décrit, de manière très brillante, le conflit entre un héros " pur et dur ", Teraï Laprade, accompagné de Léo, un " superlion " génétiquement amélioré, et le BIM, multinationale tentaculaire. Si les deux nouvelles préliminaires nous montrent un Teraï doux et intéressé par la découverte d’autres êtres avec qui vite il fraternisera, le roman, étrangement, fera du héros un baroudeur ayant presque des allures de forban. Son combat sera celui de la préservation de la planète Eldorado contre l’emprise du BIM, la sauvegarde de la pureté menacée… Guerres de religion, fanatisme, violence, tortures, tout y est ! Il perdra la fascinante Stella, tuée par un fanatique et tout se terminera dans une ambiance douce-amère, à nouveau philosophique.

Les nouvelles sont tout aussi passionnantes, quoique Carsac ait dit se sentir moins à l’aise dans ce genre. Je retiendrai surtout leur climat mélancolique (" Taches de rouilles ", " Sables morts " " Une fenêtre sur le Passé "), sarcastique (le très célèbre et ultracourt " Genèse ", mais aussi " Le Baisier de la Vie " ou " La Voix du Loup "). Plusieurs sont bien évidemment marqués du sceau de la Préhistoire, domaine d’élection du professeur Bordes, et il n’est pas étonnant qu’il ait traduit la superbe nouvelle de Poul Anderson " The Long Remembering ", incluse ici. Les deux meilleures nouvelles, à mon avis, sont " Tant on s’ennuie en Utopie ", méditation sur la liberté vraie ou subie, à méditer longuement, et " Celui qui vint de la grande eau ", récit de l’arrivée du dernier Atlante en pleine Préhistoire, évoquant tant C.S. Lewis que C.A. Smith.

Ce second " Volume ", tout aussi joliment illustré que le premier, se termine par quelques textes non fictionnels de Carsac : une préface à " La Guerre du Feu " de Rosny aîné, une conférence sur les rapports entre SF et Préhistoire, et une interview recueillie en 1967. Remarquable achèvement.

Bruno Peeters 

 

RAMSEY CAMPBELL

Unique refuge ***

Claude Lefrancq, collection " Attitudes "

 

Les Travis sont une famille sans histoire. Originaires de Floride, ils s’installent à Manchester. Peu après leur arrivée, le père a une altercation avec un chauffard et pour son malheur, porte plainte contre celui-ci. Le chauffard, furieux de voir son portrait-robot dans le journal, s’introduit par effraction chez les Travis qui, en retour, déposent une autre plainte… et c’est l’escalade de la violence, jusqu’au kidnapping, jusqu’à la mort.

Devant un portrait-robot publié dans un journal, Ramsey Campbell s’est demandé, un jour, ce qu’en penserait la personne représentée, que ressentirait-elle ? Et il a écrit " Unique refuge ".

Campbell est considéré comme un des plus grands de la littérature fantastique anglo-saxonne. " Unique refuge " fait honneur à cette réputation. Le soin avec lequel l’auteur décrit ses personnages et crée l’atmosphère du récit suscitera le respect des lecteurs de fantastique les plus blasés. La famille du chauffard, notamment, est une perle du genre : sale, méchante, dépravée, violente, sans aucune valeur morale ni intellectuelle. Le livre nous plonge dans l’univers glauque de cette racaille dégénérée, univers encore plus nauséeux parce que tellement réel. Pas de zombies ni de canines recouvertes de sang, rien que du concret.

Campbell nous enfonce des couteaux sous les ongles quand il décrit la mort d’un des protagonistes et il nous achève lorsqu’il parle de la souffrance de ceux qui l’ont perdu.

" Unique refuge " est un très bon livre de fantastique, dérangeant, accrocheur, sombre, mais jamais complaisant vis-à-vis de la violence, ni racoleur. Campbell est décidément un des touts grands et n’a pas la reconnaissance publique à laquelle son talent lui donne droit.

Alessandro Arturo

Arthur CONAN DOYLE

Le monde perdu ****

J’ai Lu n° 4595

 

En ces temps de jurassiqueries, il est bon de saluer la réédition de ce chef-d’œuvre incontournable de la SF tendance " lost-race tale " (comme le dirait Lauric Guillaud). De sorte que le texte passionnant du père de Sherlock Holmes soit vraiment lu et connu par tous, même (et surtout) par ceux qui n’en connaîtraient que la belle adaptation en BD par Patrick Sanahujas (Éditions Lefrancq). Vibrez avec Edouard D. Malone, tremblez avec le terrible Professeur Challenger et, surtout, redécouvrez une fois encore la terre mystérieuse de Maple White, ses dinosaures et ses primates géants. Et envolez-vous finalement sur le dos du ptérodactyle au-dessus de Londres… À lire, à relire, à apprendre par cœur. Pour retourner aux sources : car il y a comme un gouffre entre Conan Doyle et Steven Spielberg…

Bruno Peeters

C.J. CHERRYH

Les étalombres *

J’ai Lu 4613

 

Un western psychologique. Je ne vois pas comment qualifier autrement cette 24e (!) livraison de Miss Cherryh pour les éditions J’ai Lu. Si cela vous semble incongru, ayant lu Chanur et consorts, permettez-moi de vous conforter dans votre opinion. On n’y croit pas un instant, et ce n’est pas faute d’y avoir mis la dose. L’intrigue s’éternise sur les errances d’une demi-douzaine de cavaliers liés télépathiquement à leurs montures sur un monde frigorifié où la moindre bestiole répand à tout va ses pensées plus ou moins profondes, et plus ou moins dangereuses. Personnellement, je voterais pour moins : moins de temps morts, moins de pseudo-psychologie, moins de pages tout simplement.

Olivier Merveille

Christophe CORTHOUTS

Virtual World **

Lefrancq Attitudes Thriller

 

D’un côté, vous avez un parc d’attractions virtuel, avec un requin de synthèse capable de dévorer les clients imprudents. Un requin que les créateurs du parc n’ont pas introduit dans leur programme. De l’autre côté vous avez un requin de synthèse mis au point par deux petits génies de l’informatique et dans lequel pourrait traîner un élément militaire qui améliore les " performances " de la bestiole. Ajoutez un magnat de l’informatique prêt à tout pour que son parc ouvre ses portes le jour prévu, et quelques meurtres croquignolets, et vous aurez une idée assez précise de la mouise dans laquelle patauge l’inspecteur Campbell, qui doit faire face à tout ça. D’autant, et ça, c’est la cerise sur le gâteau, que lui et l’informatique ne font pas du tout bon ménage.

" Virtual World " est un thriller captivant, qui oscille entre " Les dents de la mer " et " X-Files ", avec ici et là, une petite touche d’humour bienvenue. L’on peut regretter que les personnages soient un peu trop stéréotypés et, surtout, vers la fin, l’irruption dans le scénario d’un élément de science-fiction auquel le lecteur ne croit pas un seul instant et qui me paraît superflu. L’auteur se rattrape cependant avec un final original et visuel qui décoiffe. Christophe Corthouts (à qui l’on doit aussi " Star Wars – Les coulisses d’un mythe ", également chez Lefrancq) signe ici un premier roman prometteur. Auteur à suivre !

Marc De Leeuw

 

D

Anne DUGUËL Divers Lord DUNSANY Alain DOREMIEUX

Lord DUNSANY

Le Livre des Merveilles ****

Terre de Brume Éditions

 

Cinquième recueil de nouvelles de Dunsany (1878-1957), "The Book of Wonder" parut en 1912, et sa traduction française en 1924. En voici une superbe édition par Terre de Brume, maison rennoise, qui fera, je l’espère, renaître l’intérêt pour ce très grand auteur, dont nous ne connaissions que "Le Fille du Roi des elfes" (Denoël), et des nouvelles éparses traduites par Julien Green ("Merveilles et démons : contes fantastiques", Le Seuil). L’un des pères de la fantasy avec Morris et Tolkien, Lord Dunsany se plaît à évoquer monstres et dragons, dieux et centaures, elfes et fées, cités imaginaires aux dômes étincelants. L’intrigue n’a souvent que peu d’importance, et il n’y a quasiment aucun dialogue. Ces nouvelles se rapprochent en fait bien plus du poème en prose que du récit. De la description des différents protagonistes et des lieux visités, ainsi que le charme des noms (Sombelenë, Thangobrind, Ackronnion, Bombasharna, Nuth, Chu-Bu) ressort une puissance évocatrice remarquable qui, on le sait, influença grandement Lovecraft (voir à ce sujet l’étude publiée dans Phénix 35, pp. 247 e.s.). Comme le dit l’auteur de "Celephais ou la Ville merveilleuse", Dunsany " apparaît consacré à un monde étrange d’une fantastique beauté ". Tout cela vous apparaîtra pleinement à la lecture de ce somptueux recueil, dont les perles absolues sont, à mon sens, les trois dernières, et surtout "Le couronnement de M. Thomas Shap", véritable hymne à la création de l’imaginaire.

Bruno Peeters

 

Noir comme l’amour ***

22 nouvelles fantastiques présentées par Nancy A. Collins, Edward E. Kramer et Martin H. Greenberg

Albin Michel

 

L’introduction de ce nouveau recueil de nouvelles fantastiques est éloquente quand elle pose la question de savoir si les écrivains ayant participé à cet ouvrage oseraient faire lire leurs créations à leurs parents ! On peut dire – sans crainte de se tromper – qu’au travers de cette "Bible Noire", la vertu (dans tous les sens du terme) en prend un sacré coup !

Fantasmes sexuels divers, jalousie, désir de tuer, possessions charnelles, terreur psychologique, inceste, fantasmes, succubes, réflexion sur les sectes et même allégorie poético-sanglante composent le menu de ce livre très savoureux, au goût du fruit défendu, qu’il faudra veiller à réserver aux personnes averties (comme on dit…). Citons, au niveau des meilleurs morceaux de ce recueil, "Caché" de Stuart Kaminsky (quand la folie meurtrière décime une famille entière), "La Pucelle" de Richard Laymon (il ne faut pas jouer avec le désir de la chair !), "Waco" de G. Chesbro (allégorie de la fameuse secte des Davidiens) ou encore "Confinée" de Karl E. Wagner, une des nouvelles les plus chaudes du livre où une femme vit par procuration une série de fantasmes peu avouables.

L’ensemble des récits réunis ici, tous d’excellente qualité, montre, si cela est encore nécessaire, le caractère ambigu de l’amour, ses dangers potentiels et les ravages que la passion peut entraîner.

Eric Albert

Vampires : Dracula et les siens ***

Omnibus

 

Les livres " Omnibus ", véritables briques de références et de… référence, ne m’ont jamais déçu ! Et celui-ci, consacré au thème séculaire du vampire, ne faillit pas à la règle.

Les plus grands auteurs se retrouvent au sommaire de ce recueil éminemment précieux pour tout amateur de " dents longues " qui se respecte : Bram Stoker, Sheridan Le Fanu, Anne Rice, E.T.A. Hoffmann, Richard Matheson, S.P. Somtow…

Pierres angulaires de la collection et du thème envisagé, les différents récits sont précédés d’une étude touffue et indispensable sur le mythe du vampire, son origine, ses implications, sa pérennité…

Un " must " à acquérir sans tarder !

Eric Albert

 

Anne DUGUËL

Entre chien et louve ****

Présence du Fantastique n°63

 

Très remarquable petit roman fantastique. Colon belge, Jean a ramené Astrid, sa belle Congolaise, et s’est installé au Limbourg, dans un endroit isolé, avec un couple de Flamands (et leur fils handicapé) pour seuls voisins. Pensionné, il vit une vieillesse heureuse puis, atteint d’une grave maladie, meurt. Et c’est ici que tout bascule : le jour de son enterrement, le cortège croise le parcours d’un… chien et l’" âme " de Jean se voit soudainement transférée dans l’animal. Qui, perdu, retrouve bien vite le chemin de la maison et de sa… maîtresse/épouse. Voici donc venir les aventures de Jean/chien près d’Astrid. Tout le sel de ce roman vient précisément des relations progressives de l’ancienne épouse avec ce petit chien dont elle ignore l’identité véritable. Et Jean, ainsi, apprendra beaucoup de choses… sur la colonisation du Congo dans ces années cinquante, sur son passé, mais aussi sur sa propre mort… Conte amer et cruel, et très bien écrit, "Entre chien et louve" est certainement l’un des livres les plus originaux et brillants que j’aie lu depuis longtemps. Le récit relie les impressions de Jean/chien aux confidences d’Astrid et se termine… atrocement. Une vraie perle de fantastique contemporain, que je vous conseille impérativement.

Bruno Peeters

Alain DOREMIEUX

Black Velvet ***

Présence du Fantastique n°57

 

Que dire après la lecture secouante de ce premier roman d’Alain Dorémieux, mythique directeur de " Fiction " et défricheur des " Territoires de l’Inquiétude " (Denoël) ? Dégoût ? Fascination ? Les deux sans doute. Je m’explique. Tout débute, comme chez Jean Ray, par la découverte d’une ruelle " ténébreuse ". Anna est attirée par une lueur curieuse, celle – elle s’en rendra compte plus tard – d’un embryon probablement extraterrestre. Commence alors une étrange ballade entre cet être (qui ne sera jamais décrit de manière précise) et la jeune fille. Jeune fille dont l’auteur, petit à petit, révèle la personnalité douloureuse : à l’âge de onze ans, elle est violée par son père. Et tout découlera de cet événement horrible. Décrit en termes crus, l’inceste dominera toute la vie d’Anna, au-delà même de la mort accidentelle du père alcoolique et dévastateur. En outre, Anna, petite fille épouvantée, rêve continuellement d’un ange noir mystérieux. Ces trois pôles, dorénavant, régleront sa vie. Et régneront sur sa folie. Car Anna sera vampirisée par la créature qui naît… Créature qui lui demandera du sang, sans relâche. Et défileront alors les amants d’Anna, victimes stupéfiées, destinées à assouvir la vie d’un être. Comme on le voit, la trame fait fortement penser aux films " Répulsion " de Polanski ou, surtout, " Possession " de Zulawski, d’ailleurs explicitement cités. L’obsession du père est omniprésente, et domine toute la conclusion, ambiguë. En refermant le livre, on se demande tout de même si l’auteur n’a pas eu quelques problèmes parentaux… Extraordinairement bien écrit et d’un bout à l’autre palpitant, " Black Velvet " (Velours noir était un surnom " amical " du père à sa fille), ce roman laisse malgré tout une impression un peu malsaine qui me fait hésiter sur sa qualité.

Bruno Peeters

 

E

 

F

Pascal FRANCAIX Alan Dean FOSTER Christophe FOWLER

Pascal FRANCAIX

Les mères noires ***

Denoël, coll. Présences

 

Maurice a toujours été rendu responsable par sa mère, une demi-folle violente et passionnée de surnaturel, de la mort de son frère jumeau, Jacques, à la naissance. De brimades en privations, d’humiliations en tortures, Maurice subit les assauts cruels de sa mère et l’impassibilité éthylique de son père.

Avec d’autres femmes ayant perdu un enfant, la mère de Maurice a constitué le groupe ésotérique des "Mères noires". À la suite de séances spirites, elle acquiert la conviction que Jacques va très bientôt se réincarner dans le corps de son infortuné frère. Et, de fait, Maurice ressent peu à peu s’insinuer en lui une présence étrangère, impérieuse, insidieuse et menaçante…

Cas réel ou schizophrénie ? Les tortures psychologiques ne sont-elles pas parfois encore plus traumatisantes que les atteintes de la chair ?

Un climat épais, un langage châtié (en accord avec la condition modeste et rurale des protagonistes), une réflexion sur le pouvoir de l’écrit, et une galerie d’outrages à la limite du supportable justifient le prix obtenu pas l’auteur au festival "Fantastic’arts" de Gérardmer en janvier dernier.

Eric Albert

Alan Dean FOSTER

DINOTOPIA, le Monde perdu ***

Éditions Claude Lefrancq, Attitudes

 

Amateurs de " mondes perdus " ayant gardé une âme d’adolescent aventureux, réjouissez-vous : voici un ouvrage pour vous ! Dans une île quelque part au sud de l’océan Indien vivent côte à côte humains et dinosaures. Ces derniers ont accédé à l’intelligence et à la parole. Ensemble, ils ont créé une civilisation harmonieuse et démocratique. Certains dinosaures, eux, ont préféré rester à l’écart des villes et des humains, et demeurer dans un immense plateau sauvage, le Bassin des Pluies. Et c’est précisément là qu’abordera un beau jour un vaisseau pirate, venant du " monde du dehors ". De vrais corsaires, avides, rapaces, féroces et cruels comme il faut. Ils capturent une famille d’autruches-dinosaures (sans plumes ni ailes) et une jeune adolescente tyrannosaure, puis découvrent une cité inconnue… toute d’or façonné. Heureusement, une autruche s’échappe, va quérir du secours qui viendra de la part d’un jeune garçon et d’un inénarrable protoceratops-interprète. À eux trois, aidés du couple des parents de la petite tyrannosaure (les moments où ils galopent dans la forêt juchée sur le crâne des terribles lézards sont magiques !), ils parviendront finalement à sauver les infortunés prisonniers des griffes de leurs ravisseurs, qui intégreront à leur tour la civilisation " dinotopienne ", hormis le méchant Capitaine, qui servira in extremis de repas au papa tyrannosaure. Commencé par une très belle introduction (rêverie d’humains et de dinosaures sur leur vie commune à l’approche d’une tempête six-annuelle), le roman se poursuit comme un récit d’aventures classique et passionnant, parsemé de jolies réflexions sur l’importance de la cohabitation et de la tolérance, telle celle-ci par exemple, du jeune Will s’adressant à un pirate : " Crois-moi, la première fois (...) que tu participeras à un concours avec un couple d’ankylosaures, tu te demanderas comment tu as pu un jour rejeter une peau ou des yeux parce qu’ils n’avaient pas la même couleur que la tienne. " (p. 334). Ou cette autre : " Dinotopia n’est pas seulement un endroit où les humains ont appris à vivre avec les dinosaures, mais aussi un pays où les gens de toutes origines et de toutes nationalités ont appris à vivre en paix les uns avec les autres. (...) Ce pays est l’exemple de ce que pourrait être le reste du monde. " (p. 322). Un dernier point : par deux fois, il est fait allusion au " Dinotopia " de James Gurney, à qui le présent livre est par ailleurs dédié. S’agirait-il dès lors d’un cycle dont ce " Dinotopia Lost " (le titre original) ne serait qu’un maillon ?

Bruno Peeters

Christophe FOWLER

L’Illusionniste *

Pocket Terreur n° 9178

 

Je finirai par croire que pour faire un bon roman de terreur, il faut absolument qu’il contienne deux éléments bien précis : le sexe et la violence, si possible interdépendants. Cela peut poser deux types de problèmes. Le premier est que lorsque sexe et violence constituent la base unique du roman, sa seule justification, on obtient un résultat généralement d’autant plus médiocre qu’il ne cherche qu’à stimuler en nous nos instincts les plus bas. Le second cas de figure, qu’on pourrait illustrer par ce présent roman, est peut-être pire. Exempt de sexe ou de violence, que reste-t-il ? Eh bien, pas grand-chose : une histoire cent fois lue – ou abandonnée – de démon mineur descendu sur Terre pour tenter le faible, la résistance à la tentation, le péché, l’ascension et la chute, la rédemption… C’est vrai qu’il y en a pas mal qu’on a déjà terrifiés avec ce genre d’histoires.

Olivier Merveille

 

 

 

G

Laurent GENEFORT James Gardner

Laurent GENEFORT

Le Continent Déchiqueté **

Fleuve Noir SF Space n° 25

 

Laurent Genefort est un excellent écrivain. Je crois l’avoir déjà répété de nombreuses fois dans les colonnes de Phénix, ce jeune auteur qui surfe depuis plusieurs années maintenant sur la nouvelle vague de la SF française me scie à chaque fois qu’il ouvre son stylo pour écrire un de ses romans pleins de plantes impensables, de créatures mi-oganiques mi-électroniques originales à se taper le cul par terre et de réflexion bien senties sur l’avenir de l’homme. Laurent Genefort est également un GRAND auteur parce qu’il est en train, au fil des parutions, de créer un monde à nul autre pareil, un univers cohérent, immense, empli de mystère et de surprises, une création que l’on ne se lasse pas de découvrir.

Mais alors me direz-vous, pourquoi, si Laurent Genefort possède toutes ces qualités, son nouveau roman récolte-t-il deux petits points sur quatre dans votre tableau de cotation ? Et bien, je vous répondrai simplement que deux sur quatre, ça nous fait juste la moyenne et ce " Continent Déchiqueté " se situe justement quelque part, sur l’échelle de l’œuvre genefortienne, dans la moyenne. Vous voyez comme tout est logique finalement.

Dans ce dix-septième roman paru au Fleuve Noir, Laurent Genefort nous compte l’odyssée de deux hommes que tout sépare, mais qui seront obligés de se serrer les coudes pour survivre sur un continent artificiel, plat et frappé de plein fouet par une série de météorites pas tout à fait innocentes. Si l’on peut déplorer que la trame est plutôt classique (on retrouve les éléments clés du buddy-movie mis sur pied par les Américains dans tous les films de flics des années quatre-vingt !) on doit également saluer l’imagination de Genefort qui nous emmène dans les recoins d’un univers où la surprise est quasi à toutes les pages.

Roman mi-figue mi-raisin, " Le Continent Déchiqueté " est un excellent divertissement de science-fiction qui séduira les novices, mais décevra les lecteurs qui, comme moi, suive la carrière de Genefort depuis ses débuts.

Christophe Corthouts

James Gardner

L’Homme de Barbossa **

Lefrancq Poche/James Bond.

 

Alors que " Tomorrow Never Dies ", le nouveau James Bond, avec toujours Pierce Brosnan dans le rôle principal, s’annonce plus proche que jamais des canons américains de l’action-movie, le nouvel opus des aventures de l’agent secret de Sa Majesté, aux éditions Lefrancq, renoue avec une noirceur et une froideur que n’aurait pas reniées Ian Flemming en personne. Embrigadé dans une sombre histoire de déstabilisation du nouveau régime russe qui plonge ses racines dans les atrocités de la Seconde Guerre mondiale et qui postule que la détente entre les divers services secrets du globe n’est pas de tout repos, Bond aura fort à faire pour ne pas perdre la boule (et la vie !) dans un véritable sac de nœuds où double trahison et coups de couteaux dans le dos sont monnaie courante.

Une fois n’est pas coutume, John Gardner mène son intrigue avec intelligence, devance souvent son lecteur et ne sacrifie qu’à la fin du roman à l’incontournable feu d’artifices pyrotechnique qui satisfait surtout les amateurs de Bond sur grand écran. Pas vraiment d’esbroufe ni d’action haletante donc dans cet " Homme de Barbossa ", mais une atmosphère tendue à l’extrême où les marchandages vicieux et les alliances bancales mêlent les fils d’une intrigue noire comme le sang des espions. À lire sans doute, pour découvrir que James Bond n’est définitivement pas un action-hero de plus dans une galaxie qui en compte déjà beaucoup.

Lambert Cyclophone 

 

H

Karen HALL Laurell K. HAMILTON Karen HABER

 

Karen HALL

L’empreinte du Diable ***

L’Archipel

 

Présenté comme "le" livre exceptionnel du moment dans la veine fantastique, "L’empreinte du Diable", premier roman d’une scénariste de télévision, doit autant au talent de son auteur qu’à quelques illustres prédécesseurs. On pense, à la lecture de ce récit mettant une fois de plus en vedette le diable et les ravages qu’il exerce au travers des hommes qu’il manipule, à "L’Exorciste" (la scène de l’exorcisme revêt ici un habit caricatural, au "Bébé de Rosemary", à "La Malédiction"…

Dans une première partie académique, Karen Hall campe sa famille, les Landry, sur laquelle plane une fatalité : un démon se serait attaché aux représentants masculins de la descendance, et les pousserait inexorablement à l’exaction puis au suicide. La seconde partie, la plus intense, présente le père de Michaël, un prêtre hésitant entre sa foi en un Dieu décidément bien cruel et la douceur des bras d’une femme tentatrice. L’auteur en profite pour instiller brillamment quelques réflexions sur la religion, la croyance, la possession et les démons et installe en une vingtaine de pages le combat final, grandiose et proprement effrayant, entre un démon tenace, un embryon de famille éclatée et le prêtre, qui se découvrira un passé insoupçonné.

Sans être du grand art, la littérature de Karen Hall est efficace, prenante dès les premiers instants. On peut sans doute lui reprocher de ne pas innover dans les thèmes traités et regretter que les deux premières parties de son livre n’aient pas été savamment imbriquées, au service d’un équilibre optimal dans la progression du suspense.

Eric Albert

 

Laurell K. HAMILTON

RAVENLOFT

MORT D’UN SOMBRE SEIGNEUR *

Fleuve Noir Legend n° 12

 

Toujours TSR, toujours le jeu de rôle, mais cette fois, attaquons-nous aux vampires… On est loin d’Anne Rice et de Bram Stocker, les non-morts de Ravenloft sont bien plus nombreux et dangereux à leur manière. Mais, les vampires ne sont pas les seuls en ces terribles terres à semer la terreur, les morts-vivants sont aussi de la partie, ainsi que leurs amis les goules, les liches et autres horribles petites choses. Toujours simpliste, ces histoires de vampires ne feraient pas se dresser les cheveux sur la tête d’un enfant… Ces chasseurs de sorciers et autres malédictions manquent désespérément d’imagination, d’originalité ou même, de profondeur… Bien entendu, comme toujours avec TSR, certains apprécieront de voir se promener ces hordes de non-morts atteints de peste étrange, c’est la dernière mode. Heureusement qu’on ne publie pas toutes les histoires de vampires atteints du sida…

Sara Doke

Karen HABER

La Fille sans ombre **

J’ai Lu n° 4377

 

La planète Styx est connue avant tout pour ses mines dont les habitants, " empathes ", extraient les " pierres-psy " aux étranges propriétés, et convoitées par tout l’univers. Kayla John Reed, fille d’un grand propriétaire, devient orpheline, et, par son franc-parler, s’attire les foudres des grandes familles possédantes. Contrainte à la fuite après un esclandre, elle s’échappe, s’iimprovise pilote d’astronef et aboutit membre d’équipage d’un vaisseau de contrebandiers. Période heureuse, particulièrement bien rendue par l’auteur. Un jour, l’on engage une nouvelle recrue, Iger, accompagnée d’un bizarre extraterrestre, dénommé " Troisième Enfant ". Idylle amoureuse avec Iger et connivence étrange avec l’E.T. qui lui apporte son aide lors de défaillances techniques de pilotage. De sombres bandits jumeaux s’emparent d’une cargaison de " pierres-psy " nucléaires : ils menacent de tout faire sauter. Tout finira à nouveau sur la planète Styx, mais, rassurez-vous, ce sera en happy end. Roman fort bien écrit par Mme Silverberg qui fait de nets progrès, me semble-t-il, depuis sa série des " Mutants ". L’argument, conventionnel sans doute, est bien traité, et les personnages sont parfaitement typés. Il manque peut-être une touche de génie, mais le lecteur passera un très agréable moment de space-opera. Ce n’est déjà pas si mal.

Bruno Peeters

 

 

 

 

 

 

 

 

 

I

 

J

Henry JAMES

Henry JAMES

Le Tour d’écrou ****

Librio n° 200

Les éditions Librio poursuivent leur approfondissement des grands classiques de tous les temps. Voici le célèbre " Tour d’écrou " (1898), chef-d'œuvre absolu du fantastique britannique du siècle dernier. La présentation est belle, et la préface de Jean Pavans remarquable. Je ne rappellerai pas l’histoire bien connue mais terrifiante de Miles et Flora, enfant hantée pas les spectres d’anciens domestiques, histoire narrée par une gouvernante équivoque. Assurément un sommet de la littérature d’épouvante intérieure, qui n’intéressera aucunement les adeptes de Stephen King, mais fascinera les poètes de l’obscur, du non-dit, du vrai fantastique en somme… Petit roman (150 pages à peine) mis en musique par Britten dans un de ses plus beaux opéras, " The Turn of the Screw " en 1954, et qui continuera d’épouvanter…

Bruno Peeters

 

 

 

 

 

 

K

Stephen King Richard KADREY Dean KOONTZ Guy Gavriel KAY

Katherine KURTZ 

Richard KADREY

Kamikaze l’amour ****

Présence du Futur n° 582

"Kamikaze l’amour" est le titre de l’album qu’il n’a jamais pu achever. " Il ", c’est Ryder, star du rock de l’an 2000, revenu de tout et qui plonge dans la folie, l’obsession, la drogue, la déprime. Il cherche désespérément le " son ", un son qui serait lumière et inversement. Après un faux suicide, il parvient à s’échapper d’un hôpital psychiatrique. Laissé pour disparu, il entame alors une longue quête à travers un monde nouveau qui le mènera jusqu’à un Los Angeles radicalement transformé. Car en ces temps futurs, la végétation tropicale a envahi la Californie, et la côte ouest ressemble à l’Amazone. Il rencontre une fille fascinante, Frida-Catherine, qui elle aussi cherche le " son " au travers des bruits de la vie dans ce monde étrange où des somnambules miment leur univers quotidien et où les trams se font attaquer par des loubards. Leurs quêtes deviennent fleuves de rêves… La fille disparue, Ryder se lance à sa recherche au long d’un voyage infernal, ne se nourrissant que d’alcool et de médicaments. L’on pense fréquemment, le style en moins, aux paysages intérieurs du Ballard de "Vermillion Sands" ou surtout du "Monde englouti ": immeubles perdus dans la jungle, maisons de corail, salle de cinéma isolée dans la forêt (superbe évocation pp. 176 e.s.). Arrivé à Los Angeles, il y retrouve son premier imprésario, dominant une faune complètement décadente, et erre à nouveau dans la ville. Notons ici l’obsession de l’auteur pour l’" âme des villes ". Il reverra enfin sa Frida-Catherine, après avoir communiqué étrangement (par la drogue, à nouveau) avec une tribu d’Indiens. Le roman culmine par un séisme détruisant, et Los Angeles, et les dernières certitudes de Ryder. Non, la rock-star ne " ressuscitera " pas à nouveau, mais, résignée, se réfugiera dans l’incognito, tout en continuant ses recherches musicales sur le son-lumière : il s’est enfin trouvé. Oeuvre-fleuve, "Kamikaze l’amour " est à parcourir comme le destin de son pitoyable héros : avec errance, abandon, élans et joies traversés de désespoirs. Parfois hermétique (les titres des chapitres sont abracadabrants, mais les notions de " fractales " et autres, importantes, sont explicitées dans une " petite médiagraphie sélective " conclusive du traducteur Jean Bonnefoy), profondément surréaliste (Max Ernst et Tanguy pour les maisons de corail, par exemple, p. 230), parsemée de scènes humoristiques (l’enlèvement des plaques des stars sur Hollywood Boulevard, p. 256, l’énergie des studios provenant de sous-marins nucléaires désarmés), ce roman est chalereusement conseillé, avant qu’il ne deviennne un livre-culte…

Bruno Peeters

 

Stephen King

Les Yeux Du Dragon **

Pocket Terreur et Pocket Jeunesse

Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, je vous souhaite la bienvenue dans un monde sans pitié où l’appât du gain est définitivement devenu l’objectif numéro un. Bon allez, je charge un peu dans le genre " tous pourris " et " money rules the world, so fuck the money ! " mais bon, faut avouer que la sortie quasi simultanée des " Yeux du Dragon " dans deux collections différentes (l’une destinée aux gosses, l’autre connue des adultes) fait furieusement penser à l’exploitation sans vergogne aucune du phénomène King. Vous me direz : " oui, mais, " Les Yeux du Dragon " est à la fois une chouette histoire pour enfants et un joli récit de fantasy pour adultes, alors bon, si monsieur Pocket sort une seule version du roman, une partie du public risque de rater le coche. " O.K.. Mais n’essayez pas de me faire croire que c’est par altruisme que ce genre d’opération se met en place… D’autant plus que dans une collection comme dans l’autre, il risque d’y avoir des déçus. Mais pour que vous compreniez cela, il faut que je vous parle du livre lui-même et que j’arrête de vomir sur le capitalisme triomphant et les plans marketing foireux. Voilà, voilà, j’y arrive.

Au départ, " Les Yeux du Dragon " n’aurait jamais dû sortir des tiroirs de Stephen King. Il s’agissait avant tout d’une histoire écrite pour ses enfants. Un moyen comme un autre de rogner sur le budget bouquins de sa progéniture, si vous voulez. Mais dès qu’un éditeur eut vent de l’existence de cette histoire, il fit des pieds et des mains pour que King l’autorise à la publier sous forme très luxueuse, en édition limitée, avec encre colorée et tout et tout. Résultat des courses, le bouquin de luxe s’est vendu comme des petits pains et le grand public a fait la gueule. D’où l’idée de faire paraître " Les Yeux du Dragons " en format de poche. Aux États-Unis, s’entend. Cela, c’était en… attendez que je compulse mes fiches… 1987 ! Il a donc fallu pas moins de onze ans pour que " Les Yeux Du Dragon " apparaisse sur les étagères de nos librairies. Pourquoi ? Euh… Vous ne voulez pas que je reparte, épée à la main, à la chasse aux capitalistes ? Vous voulez vraiment lire quelques mots à propos du contenu de ce livre ? Bon alors, je vais essayer de faire court : marketing. Voilà. C’est court, ça. C’est bien. Et puis c’est sobre.

Alors, revenons à nos moutons : " Les Yeux du Dragon ", c’est quoi ? Eh bien c’est une histoire de fantasy, un conte pareil à ceux de notre enfance. Avec un roi qui finit empoisonné, un héritier légitime qui finit dans les geôles royales, un méchant magicien qui finit par perdre, et un dragon. Oui, parce que, sans dragon, pas d’yeux et sans yeux, pas de titre. Logique. Ce qui est logique aussi, c’est que ce livre ne se classe sans doute pas parmi les meilleures histoires de fantasy, ni même parmi les meilleurs romans de King. Parce que si tout cela est raconté avec la vivacité et le sens du détail que les lecteurs aiment retrouver chez le maître de Bangor, au rayon originalité, il faudra repasser. Peu de surprises, pas de personnages renversants (le GRAND méchant n’est autre qu’un certain Flagg… l’ultra méchant du Fléau) et une histoire linéaire au possible. Reste que la version Pocket Junior (dont le texte, je le rappelle, est identique à celui de la version " Terreur ") est superbement illustrée et qu’elle baigne donc dans une ambiance " conte " plus prononcée. Bref, le fana de King ne voudra pas passer à côté, les jeunes qui le découvrent par là comprendront rapidement qu’il n’a pas fait que ça, et le lecteur estival qui adore King pour ses briques fantastiques trempées dans un bain de quotidien devront impérativement se rabattre sur " Insomnie ".

Christophe Corthouts

Stephen KING

Celui qui garde le ver ***

Librio n° 193

 

Ainsi donc, après avoir décroché la timbale avec l’un des meilleurs Stephen King de ces cinq dernières années (La Ligne Verte, roman feuilleton aux allures de pur chef-d’œuvre), la collection Librio capitalise sur sa bonne fortune en publiant ce mini recueil de nouvelles extraites de " Danse Macabre ". Si aujourd’hui, loi du marché oblige, Stephen King se concentre particulièrement sur la création de romans, nombreux sont encore les amateurs qui encensent ses qualités de novelliste et n’hésitent pas à citer " Le Dernier Barreau de l’Échelle " ou " Nona " comme les meilleurs textes jamais écrits par King.

Avec cet extrait de " Danse Macabre ", Librio nous livre 5 histoires de bonne facture.

" Celui qui garde le ver " donne son titre au volume et constitue une excursion toute kingienne dans le domaine de Lovecraft et des Grands Anciens. " Poste de Nuit " (qui a fait l’objet d’une adaptation cinématographique catastrophique sous son titre original " Graveyard Shift ") est un texte en roue libre qui distille le frisson là où tout le monde l’attend, c’est-à-dire dans les entrailles puantes d’un égout envahi par les rats. " Une Sale Grippe " constitue quelque chose comme un prologue au " Fléau ", pierre angulaire de l’œuvre de King avant l’arrivée de " La Tour Sombre ". " Comme une Passerelle " est l’une des rares incursions de King dans la science-fiction horrifique. Enfin " La Presseuse ", qui a connu le sort peu enviable de nombreux textes de King, c’est-à-dire, tous ensemble, " UNE ADAPTATION CINÉMATOGRAPHIQUE DE MERDE ! ", est une intrigante variation sur le thème des objets possédés par le mal.

Bref un recueil de textes très divers, qui ne constituent évidemment pas une surprise pour les fans, mais qui permettront au plus grand nombre de découvrir un " autre " King, à cent lieues des best-sellers aux volumes effrayants et aux qualités parfois inégales.

Christophe Corthouts

Dean KOONTZ

Le Visage de la Peur & Le Rideau de Ténèbres **

Pocket Terreur n° 9191 & n° 9192

 

Sortis en leur temps chez J’ai Lu, ces deux romans de Koontz (l’un paru en 1977 et l’autre en 1994) datent de cette période assez folle où l’auteur de " Watchers " se pliait à une discipline de dingue, écrivant dix-huit heures d’affilée des romans qu’il pouvait caser aux quatre coins du spectre des éditions américaines. Un thriller par-ci, un suspense SF par là ou encore une pure histoire policière, Koontz se forgeait alors la plume que nous lui connaissons aujourd’hui et basait son travail essentiellement sur la productivité. Les deux romans aujourd’hui réédités ne font donc pas partie des incontournables et paraissent même (particulièrement " Le Visage de la peur ") faire partie d’une production de série sans grande originalité. Si vous ne connaissez pas encore les moindres recoins de la bibliographie de Koontz, c’est ici l’occasion de se plonger dans le passé, mais ne vous faites pas d’illusion, contrairement à King, Koontz n’a certainement pas produit ses meilleurs romans dans sa prime jeunesse.

N.B. : Signalons aussi la sortie de " Intensité ", le dernier Koontz grand format, au dos duquel on peut découvrir un auteur " nouveau look ", sans moustache et avec une moumoute du plus bel effet !

Christophe Corthouts

Dean Koontz

Tic-Tac ***

Presses Pocket, Terreur n° 9184

 

Après King et sa " Ligne Verte ", c’est au tour de Dean Koontz (qui a définitivement laissé tomber le " R. ") de nous offrir un inédit en poche. Inédit qui n’est pas, comme c’est parfois le cas pour l’auteur de " Watchers ", une resucée plus ou moins réussie d’un de ses romans de jeunesse. Non, " Tic-Tac " est un " vrai " inédit, écrit par notre homme quelque part entre " The Dark Rivers of The Heart " (paru en français sous le titre débile de " La Porte Rouge ") et " Intensity ", son avant-dernier roman pas encore paru chez nous (mais qui devrait s’appeler " Le Bahut Bleu " ou encore " Tiens, Voilà un Méchant avec un Mobile-Home Blanc "). En fait de roman de " Terreur ", "Tic-Tac" est une aventure fantastique aux accents humoristiques assez prononcés. L’histoire est celle de Tommy Phan, un auteur de romans policiers d’origine asiatique qui trouve un jour sur le pas de sa porte une petite poupée de chiffon. À peine a-t-il accueilli cette chose chez lui que le monde s’écroule totalement. La poupée s’avère être un petit démon, croisement contre-nature entre un gremlin et Terminator, les jeunes filles un peu écervelées se révèlent être… vous verrez et les dialogues de sourds abondent dans un roman plein de vie et de surprises.

Pour une réussite, ce " Tic-Tac " est une réussite et je m’en voudrais de déflorer plus avant l’intrigue, tant le lecteur prend plaisir à découvrir au fil des pages ce que l’imagination débridée de Koontz parvient à fomenter pour plonger son héros dans les affres d’une hilarante déconfiture. D’ailleurs, à ce propos, évitez de lire la postface avant le bouquin (je sais, ça paraît illogique de lire un texte de fin de roman avant le roman lui-même, mais vous savez ce que c’est…) car si Koontz y explique ce qui l’a amené à écrire " Tic-Tac ", il démonte également le mécanisme classique qui se cache derrière l’histoire.

En fait, lorsqu’on referme " Tic-Tac " on ne souhaite qu’une seule chose : que Koontz revienne plus souvent sur ce territoire peu exploré de l’aventure fantastique humoristique.

Lambert Cyclophone

Dean KOONTZ

Tic-Tac **

Pocket n° 9184

 

Tommy Phan, Vietnamien vivant aux États-Unis et pur produit du " rêve américain ", trouve un soir sur le seuil de sa porte une poupée de chiffon. À l’intérieur de celle-ci réside une créature répugnante, animée par la volonté de tuer !

C’est à une véritable traque à l’homme que nous convie Dean Koontz dans ce très court roman paru directement en poche, qui apparaît comme une parenthèse dans la bibliographie de son auteur. Après avoir écrit le fabuleux " La Porte rouge " (Plon), Koontz aurait ressenti le besoin de s’offrir une petite récréation en rédigeant un récit d’épouvante pure au départ, mais bifurquant peu à peu vers le burlesque et le vaudeville. Entreprise pleinement réussie mais dont la qualité n’égale pas les meilleurs titres de l’auteur.

Assisté dans sa fuite éperdue pour échapper au mal, par la très belle Del Payne, élément féminin indispensable des romans de Koontz, et par le chien Scottie (et ça aussi, ça devient une habitude…), Tommy Phan devra effectuer une plongée aux sources de ses origines.

" Tic-Tac " est toujours plaisant à lire mais ne trompe pas l’attente des fans, qui s’impatientent de découvrir ce qui est annoncé comme le plus terrifiant roman de Koontz : " Intensity ".

Eric Albert

 

Guy Gavriel KAY

LA CHANSON D’ARBONNE ***

L’Atalante

 

Il est rare de trouver de la Fantasy canadienne mais, quand l’auteur s’appelle Guy Gavriel Kay, on saura à présent que ça en vaut vraiment la peine. " La Chanson d’Arbonne " est un roman historico-fantastique puisqu’il nous emmène dans le monde parallèle d’Arbonne, royaume du sud où les troubadours sont rois et où les femmes sont vénérées pour leur beauté et leurs charmes intellectuels. Royaume qui s’il n’était lié à une déesse pourrait vraiment faire penser au lointain pays d’Oc (lointain dans le temps, bien sûr).

Le monde ici est essentiellement divisé en deux : au sud, le royaume d’Arbonne et son amour courtois, dirigé par une femme et vénérant une déesse ; au nord, le Gorhaut, pays froid et aride au bord de la guerre civile depuis la signature d’un traité infamant, dirigé par un roi implacable et malsain et vénérant un dieu sans merci.

Blaise, guerrier du nord de haut lignage, exilé volontaire après la signature du fameux traité, en but à la haine de son père le prélat du dieu guerrier Corranos se retrouve en Arbonne au service de la reine Cygne, protégé par une prêtresse au hibou blanc… Blaise n’ignore rien des décisions de son père et de son roi qui sont prêts à toutes les infamies par amour du pouvoir et de la haine, mais c’est entre ses mains que repose l’avenir d’Arbonne.

Écrit dans le plus pur style médiéval des chansons de geste, avec une connaissance historique et un respect de la chose historique étonnants, " La chanson d’Arbonne " est bien différente de la plupart des romans de Fantasy. D’après les dernières nouveautés d’outre Atlantique, il nous faudrait trouver un nom pour qualifier ce style d’écriture qui emprunte à la fois au roman " mainstream " et à la Fantasy pure. Roman d’amour et de guerre, " La chanson d’Arbonne " ne parle ni de magie ni de monstre, mais reste avant tout un merveilleux roman médiéviste…

Il est cependant dommage de remarquer que la traductrice n’a pas respecté les termes inventés par l’auteur, pour des raisons parfois fallacieuses, elle a ainsi transformé le préfixe de noblesse " en " par un " messire " qui n’avait pas spécialement lieu d’être ou changé le terme " vida " présentant une biographie d’un poète en " vidan "…

Sara Doke

 

Katherine KURTZ

Les Derynis

La justice du roi ***

Pocket n° 5610

 

Amoureux du Moyen Âge, à vos portefeuilles, le dernier Katherine Kurtz vient enfin de sortir. Depuis les débuts de la série des Dérynis, l’extraordinaire capacité de l’auteur à présenter une vie quotidienne médiévale riche en couleur mais extrêmement fidèle à la réalité historique, son excellente connaissance de la religion et des relations qu’entretenaient avec elle les hommes de l’époque en a étonné plus d’un. Les aventures des Dérynis, peuple magique dans une espèce de Pays de Galle parallèle ne cessent pas de surprendre. Sous la plume précise et complexe de Katherine Kurtz se déroulent des miracles de stratégie et de trahison, elle démontre d’une idée de la politique digne des plus grands tacticiens médiévaux.

Ce huitième volume de la série a tout pour surprendre les amateurs : bien des années ont passé depuis la fuite de la famille McRory, victime des persécutions anti-dérynies, un jeune roi plein de morgue et de force de caractère est monté sur le trône. Fils d’un humain et d’une Dérynie, il porte en lui les pouvoirs maudits par l’Église couplée à ceux innés à la famille royale de Gwynedd. Avec son compagnon de toujours (ou presque), Dhugal, le " bâtard de l’Évêque ", il part en guerre contre les princes félons de Mhéara, prétendants au trône de Gwynedd ayant fait sécession. La vie d’un monarque en ces sombres périodes n’est pas de tout repos, surtout quand on a dix-sept ans. Vivement la suite.

Sara Doke

 

 

L

Jean LORRAH Mercédès LACKEY Serge LEHMAN Joseph Sheridan LE FANU

Jean LORRAH

Star Trek : la nouvelle génération.

LES SURVIVANTS *

Fleuve Noir n° 45

 

Tasha et Data sont envoyés sur la planète Tréva pour prévenir une guerre civile.

Qu’attend le lecteur qui se plonge dans un livre de Star Trek ? " Lire " un épisode inédit de la série télévisée, c’est clair ! Pour cela, il doit retrouver les personnages, l’atmosphère, les scènes essentiellement dialoguées et, évidemment, l’Enterprise, vaisseau dans lequel se déroulent la plupart des histoires.

Il n’y a RIEN de cela dans " Les survivants " ! Ce livre a visiblement été pondu par quelqu’un qui n’a jamais vu le moindre épisode de la série télévisée. Les erreurs sur les personnages foisonnent (Riker veut devenir capitaine, Data est… amoureux). L’histoire, d’une banalité confondante, n’a que très peu de rapport avec les épisodes télévisés. L’auteur tente de faire quelques références à la série télévisée ; son but est visiblement d’insérer ce livre entre deux épisodes de la première saison de Star Trek, mais le résultat est navrant et oblige l’auteur à effectuer des sauts complètement artificiels dans la chronologie de l’histoire.

Non, décidément, on ne " sent " pas Star Trek TNG dans ce travail de copywriter basé sur des profils approximatifs de personnages et des résumés d’épisodes.

La cerise sur le gâteau se trouve sur la pochette : un des personnages y porte un uniforme de l’ancienne série !

Bref, c’est raté sur toute la ligne. Ceux qui aiment Star Trek n’aimeront pas, ceux qui n’aiment pas Star Trek n’y trouveront pas le moindre intérêt.

Alessandro Arturo

 

Mercédès LACKEY

LES HERAUTS DE VALDEMAR

LES PROMESSES DE LA MAGIE ***

Pocket n° 5587

 

Le retour des aventures de Vanyel Ashkevron, le héros favori de la plupart des fans de Valdemar ne pouvait qu’être un plaisir. Ce jeune Héraut-Mage, le plus puissant qu’on ait jamais vu dans la région, se débrouillant tant bien que mal avec ses devoirs de Héraut qui le font remplacer cinq de ses collègues au pied levé et son homosexualité qui lui font se méfier du jugement d’autrui, reste un personnage extraordinaire comme on aimerait en voir plus souvent en Fantasy comme en SF. Le voici donc embarqué dans une histoire qui va mettre à mal ses deux réputations : un jeune homme doué de pouvoirs magiques est accusé d’avoir assassiné toute sa famille… Mais, ce jeune homme est bien trop joli pour être honnête… Que de problèmes pour un seul homme alors que la situation politique de son pays bien aimé est troublée par les guerres et les menaces étranges venant de l’extérieur.

La trilogie de Vanyel est sans doute la plus réussie de toutes les séries situées dans le monde de Valdemar, ce personnage haut en couleurs plaira à tous et à toutes et a déjà fait beaucoup pour la communauté homosexuelle chez les amateurs de SF et de Fantasy. Pour ça, et pour le reste, cette série mérite bien d’être lue et relue et d’avoir autant de succès de ce côté-ci de l’Atlantique qu’elle en a eu chez les Anglo-Saxons.

Sara Doke

Serge LEHMAN

L’Ange des Profondeurs ****

Fleuve Noir. SF Mystère n° 24

 

Je sais. Le rédac’ chef me l’a dit quatre fois, je ne peux pas mettre 5 étoiles dans un système où le maximum est quatre. Je sais, mais je m’en fous. Parce que ce petit bijou d’" Ange des Profondeurs " vaut bien cinq étoiles. D’ailleurs, ce bouquin est tellement bon que je ne vais pas passer mon temps à vous en parler. Parce que je risquerais d’en dire trop. Et de tuer une partie du plaisir. Celui de la découverte d’une œuvre pas comme les autres. D’une histoire à couper le souffle. Du premier épisode d’une série dont j’attends la suite avec tellement d’impatience que l’idée m’est venue de faire un raid sur les éditions du Fleuve pour y dérober les épreuves… Mais ce serait mettre ma réputation en balance… Elle qui n’a pas besoin de ça… Quoi qu’il en soit, malgré la consigne qui nous oblige à faire au moins vingt lignes par critique, ne comptez pas sur moi pour vous livrer la moindre information. Où alors, si. Cet " Ange des Profondeurs " fait partie de mes cinq bouquins de l’année. J’irais même peut-être jusqu’à dire que c’est LE bouquin de l’année. Et dire qu’il y en a encore qui considèrent la SF et le fantastique comme des genres mineurs… Moi je dis qu’ils se sortent la tête du tuuuuuuuuttttt et qu’ils jettent un coup d’œil sous la couverture (affreuse, soit dit en passant) de ce roman. Y a du chef-d’œuvre entre les lignes de cette incroyable histoire. Du pur chef-d’œuvre. Allez, laissez-moi tranquille. Allez vous l’acheter. Moi je me le relis. Tranquille. En attendant la suite. Tranquille… Aaaaaaaaaahhhhhh ! LA SUITE !

Christophe Corthouts 

Joseph Sheridan LE FANU

Schalken le peintre ***

Éditions José Corti – Domaine romantique

 

Sheridan Le Fanu (1814-1873) est essentiellement connu chez nous à travers les deux recueils publiés chez NéO, et, bien sûr, à travers " Carmilla " (Denoël), jalon essentiel du vampirisme. Irlandais, tiraillé entre son folklore natal et l’influence du roman gothique, alors déclinant, Le Fanu est avant tout un auteur sombre et mélancolique. Ses récits, dans lesquels figurent fréquemment des rôles de femmes victimes, baignent dans une atmosphère très fantomatique, l’intrigue étant, elle, souvent fort dramatique. " L’aventure du sacristain " et " Les Spectres amoureux " en sont deux parfaits exemples, qui séduiront les amateurs d’ambiance nocturne et sinistre. L’horreur pure peut également l’attirer, ainsi qu’en témoigne le célèbre " Fantôme de Madame Crowl " mais est, comme il sied au courant gothique, parfois expliqué (" Une nuit d’auberge "). Le diable est le fil conducteur des dix nouvelles ici retenues par Jacques Finné, excellent préfacier et traducteur. Diable romantique, mais effrayant (" Schalken le peintre "). Tous ces éléments sont réunis dans ce que je considère peut-être comme la meilleure nouvelle du recueil : " Histoire d’une famille de Tyrone ", à lire en premier lieu par ceux qui ignoreraient le talent de Le Fanu. Bien sûr, il s’agit ici de fantastique " classique ", celui issu de Poe et de Bierce, et qui conduira à Montague Rhode James ou à Walter De La Mare. Autant dire que les fans de Stephen King ou du " gore " actuel n’y trouveront par leur compte, mais bien ceux de Jean Ray ou de Thomas Owen.

Bruno Peeters 

 

M

Abraham MERRITT R. MILLER & D. WINGROVE

Anne McCAFFREY & Elisabeth Ann SCARBOROUGH

Lois McMASTER BUJOLD James MORROW Graham MASTERTON

 

Abraham MERRITT

Œuvres complètes 2 ***

Claude Lefrancq Éditeur, coll. " Volumes "

 

Voici donc ce second volume, incluant les quatre romans suivants : "Le visage dans l’abîme", "Les habitants du mirage", "Brûle, sorcière, brûle !" et "Rampe, ombre, rampe". Je renvoie le lecteur à ma présentation du premier volume dans Phénix n° 44. Les deux premiers romans figurent incontestablement parmi les hauts chefs-d'œuvre de Merritt, le second surtout, qui égale en perfection "La nef d’Ishtar". Leif Langdon pénètre dans le monde du Pays-dans-l’Ombre. Possédé par Dwayanu, écartelé entre les belles Evalie et Lur, il affrontera aussi Khalk’ru, le Kraken : un must absolu ! Ses deux dernières œuvres seront très différentes, quittant l’ambiance fantasy pour renouer avec celle, plus psychologique de "Sept pas vers Satan". Sorcellerie et retour aux vieilles légendes (Ys) accapareront son attention pour ces deux romans, moins immédiatement éblouissants, mais à l’intrigue néanmoins passionnante. Attendons maintenant le troisième et dernier volume promis, qui comptera, outre l’intégralité des nouvelles (il en est d’admirables !), également les romans inachevés. De belles découvertes en perspective !

Bruno Peeters

Abraham MERRITT

Œuvres complètes 1 ****

Lefrancq, collection " Volumes "

 

" Le Sculpteur de mondes " : ainsi Merritt était-il baptisé par Anne Deckers, dans sa remarquable étude parue dans le n° 40 de Phénix consacré à la fantasy. " Maître de l’archéologie-fiction " est le titre décerné par Alain Zamaron (auteur déjà d’un bel essai paru chez " Ides… et autres " en 1986) dans sa préface à cette réédition de quatre grands chefs-d’œuvre de l’écrivain américain : " Le Gouffre de la lune ", " Le Monstre de métal ", " La Nef d’Ishtar " et " Sept pas vers Satan ". Inutile de revenir sur l’importance primordiale de l’œuvre de Merritt, fondement essentiel de la littérature de fantasy, ainsi que d’une certaine science-fiction… archéologique précisément. Avec celles d’E.R.Burroughs et de Lovecraft, elle domine toute la première moitié du XXe siècle, et restera pour beaucoup insurpassée. La description, précise autant que poétique, des civilisations rencontrées, l’intrigue mêlant mythes, affrontement entre le Bien et le Mal, et complexes relations amoureuses, l’épaisseur psychologique des protagonistes (les femmes surtout), tout cela forme un cocktail éblouissant qui reste longtemps gravé dans la mémoire émerveillée du lecteur. Espérons vite la sortie du second volume qui inclura aussi, je l’espère, d’admirables nouvelles, telles que " Les êtres de l’abîme " ou " Trois lignes de vieux français ". Il est bon en effet de trouver à présent une édition récente, et bien présentée, de ces piliers de la fantasy.

Indispensable à toute bibliothèque.

Bruno Peeters

R. MILLER & D. WINGROVE

Myst 2

Le livre de Ti’AnA **

J’ai Lu n° 4455

 

Et un roman initiatique de plus… Les jeux de rôle et les jeux sur ordinateur sont vraiment à la mode ces temps-ci et, si les jeux de rôle enfantent des romans souvent illisibles, il semblerait que les jeux sur ordinateur donnent plus d’inspiration à leurs auteurs…

Histoire d’une jeune fille orpheline depuis peu à la recherche de son identité et du monde qu’elle ne connaît pas, " Le Livre de Ti’ana " se laisse lire, sans grande originalité, sans grandes qualités, mais le style est agréable, les personnages ont une certaine profondeur (ça fait du bien !) et l’histoire se tient. Que demander de plus ? Un peu d’imagination mais, bon… On ne peut pas trop espérer d’un roman issu d’un jeu, même si les emprunts aux romans de fantasy plus connus comme ceux d’Eddings sont légion, ne crachons pas trop dans la soupe, c’est une lecture simple mais de bon goût…

Sara Doke

 

Lois McMASTER BUJOLD

Ethan d’Athos **

J’ai Lu n° 4640

 

À nouveau un excellent " petit " roman de McMaster Bujold, qui vaut surtout par l’amusante description d’une société exclusivement masculine. Sur la planète Athos ne vivent en effet que des hommes, se reproduisant génétiquement, par le biais de " cultures ovariennes ". La Femme y est symbole absolu du Mal, et même prononcer le mot est péché. Les enfants, tous mâles bien sûr, sont élevés par le père et un " parent suppléant ". Un jour arrive ce qui devait arriver : les cultures originaires s’épuisent. Et les ovaires commandés s’avèrent soit morts, soit prélevés sur des animaux… Le docteur Ethan Urquhart est chargé par le Conseil de la Population d’aller s’approvisionner sur la Station Kline, sorte de gigantesque station orbitale et plaque tournante de cette partie de la Galaxie (une seule allusion est faite au monde de Barrayar). Commence alors pour le pauvre Ethan un véritable calvaire. Accueilli par… une femme (horreur !), le Commandant Quinn, il est pris dans un tourbillon d’aventures mêlant polar et espionnage. Tout finira bien, cependant, et il retournera sur Athos muni, entre autres, d’un ovaire… de son " amoi ". Bref, un intéressant roman, certes, surtout dans sa première partie, mais à l’intrigue ultérieure inutilement alambiquée. McMaster Bujold écrivant fort bien, j’aimerais toutefois lire quelque chose de plus " solide " de ce nouvel auteur.

Bruno Peeters 

 

James MORROW

LE JUGEMENT DE JEHOVAH ***

J’ai Lu SF n° 4733

 

Le grand retour de la SF théologique, enfin la suite de " En remorquant Jehovah ", vive James Morrow. Plein de références à la théologie, aux religions révélées, à la philosophie et à l’histoire de l’Occident, les romans de James Morrow sont autant de réflexions sur Dieu, sur la souffrance, sur la religion et sur l’Homme. Il reste rare de trouver roman aussi intelligent, aussi jouissif…

Alliant l’humour à la culture, partant dans les pires délires théologico-politiques, James Morrow nous embarque à présent vers le procès le plus retentissant de toute l’histoire de l’humanité. En effet, que se passe-t-il quand un obscur juge de Nouvelle Angleterre, prenant l’exemple de Job, intente un procès à Dieu pour crimes contre l’humanité ? Que se passe-t-il quand les hommes réfléchissent à la douleur et à sa nécessité dans une époque où les médias et le sensationnel font feu de tout bois ? C’est là le point de départ de ce magistral roman de Morrow qui nous mène jusque dans les profondeurs du cerveau de Dieu, à la rencontre du Christ et du Diable, à la recherche de la réponse ultime…

Sara Doke 

Graham MASTERTON

La Mort Noire ***

Lefrancq Littérature, collection Attitudes

 

1977. C’est la date de parution originale de ce roman de Graham Masterton qui n’a pas pris une ride ! Et pour cause : son histoire d’épidémie de peste provoquée par les rejets de déchets toxiques sur les plages de Floride a des accents terriblement contemporains.

Tout commence un matin comme les autres lorsque le docteur Pétrie intervient auprès d’un jeune garçon atteint d’un mal apparemment proche du choléra. Une fois arrivé à l’hôpital le gosse décède et les analyses mettent rapidement à jour l’atroce vérité : la peste fait son retour dans la société moderne. Mais pas n’importe quelle peste. Une peste dotée d’un bacille mutant, transformé au fil des ans par les quantités toujours plus grandes de déchets radioactifs balancés dans nos mers. Une peste que les remèdes d’aujourd’hui sont incapables d’enrayer.

Dans une atmosphère de fin du monde, Masterton nous décrit avec une rare acuité une société qui se déglingue, où les comportements les plus vils refont surface, où la survie de chacun se fait parfois au détriment du groupe tout entier. Loin de la formule qui l’a rendu célèbre après la sortie de " Manitou ", Masterton cisèle un roman classique aux personnages bien campés et terriblement humains. On regrettera tout de même une fin en " queue de poisson " signe que l’auteur, à l’époque, n’avait peut-être pas le moyen d’imposer chez son éditeur des manuscrits trop long. Mais ne chipotons pas, nous avons là un excellent bouquin qui redore d’une belle manière, le blason de la collection Attitude de chez Lefrancq.

Christophe Corthouts

Graham MASTERTON.

Le Maître des Mensonges **

Pocket Terreur n° 9180

 

S’il existait un trophée pour le " chapitre d’ouverture le plus secouant de l’année ", il ne fait aucun doute que Masterton remporterait haut la main la compétition avec les premières pages de son nouvel opus paru aux éditions Pocket. Je ne vais pas tenter ici de vous raconter ce qu’il s’y passe, dans ce premier chapitre (d’ailleurs, je le ferais immanquablement moins bien que Masterton lui-même), mais je me contenterai de vous dire qu’il faut avoir le cœur bien accroché pour pouvoir tourner les pages de ce prologue glaçant.

Ensuite, hélas devrait-on dire, les choses rentrent dans l’ordre et Masterton ressort de ses cartons l’exquise formule que vous trouverez en toutes lettres dans le numéro de Phénix consacré à cet auteur prolifique mais de moins en moins surprenant. En résumé, une créature venue du fin fond des enfers (cette fois, ce serait Satan himself. " Please to meet you, dit-il, hope you guess my name ! ") à l’orée de sa résurrection sur notre bonne vieille terre. Son retour, pour un règne de terreur qui devra durer mille ans (à quelques mois près…) est assujetti à la mort d’un certain nombre d’âmes innocentes. Vous connaissez la suite. Un flic s’intéresse à une série de meurtres rituels, les meurtres ont en fait pour but l’avènement de la créature. Personne ne parvient à empêcher le pire… sauf le héros dans les cinq dernières pages de la copie. Voilà. Merci beaucoup d’être venu, à la prochaine.

Finalement, on pourrait comparer la manière d’écrire de Masterton au travail des scénaristes de James Bond. Une séquence pré-générique à vous couper le souffle, une série d’ingrédients classiques dosés en quantité variable et une intrigue qui ne bouge guère au fil du temps.

Cette année " Demain ne meurt Jamais " était un bon Bond (malgré les protestations stridulantes de notre vénéré rédacteur en chef !) et " Le Maître des Mensonges " est un bon Masterton. Sans plus. Ni moins, d’ailleurs.

Christophe Corthouts

 

Anne McCAFFREY & Elisabeth Ann SCARBOROUGH

La trilogie des forces

Lignes de forces ***

Pocket n° 5637

 

On ne présente plus Anne McCaffrey à personne, ce serait insultant. Elisabeth-Ann Scarborough est, elle, une petite nouvelle dont on ne connaît pas grand-chose. Elle a pourtant déjà publié plusieurs romans dont " Un air de sorcellerie " paru chez Pocket cette année. Entre l’une des grandes dames incontestées de la fantasy et la petite nouvelle, nous pouvons aujourd’hui découvrir un style, un ton d’écriture très simple, ravissant, plein de poésie et non dénué d’humour. Bref, c’est agréable !

L’idée de départ du roman, le second du cycle qui devrait en compter trois, est assez simple : une société intergalactique a décidé d’extraire des minerais d’une planète étrange : Effem. Or, il semblerait que la planète elle-même se rebelle à cette idée. Et oui, la planète est sentiente, elle vit et réagit, ce qui n’est pas pour plaire à la société.

Idée originale (ça commence doucement à manquer mais, ne vous inquiétez pas, la relève est fameuse), écrivains talentueux, que demander de plus ? La suite !

Sara Doke

Anne McCAFFREY & Richard WOODS

Dragons ****

Illustrations de John HOWE

Les albums Duculot

Casterman

 

Vous aimez les dragons ? Vous aimez les beaux livres ? Les illustrations du Seigneur des Anneaux vous font baver ? Alors il vous faut absolument ce livre !

Dragon est à la fois un recueil de légendes draconiques et une histoire de coin du feu. Tout y est, les dragons à vierge, les dragons à trésors, les Georges, les mythologies, les dragons de fantasy (avec en avant-première des extraits de romans non encore traduits en Français), avec, en plus, la douce voix d’Anne McCaffrey qui nous raconte une belle histoire, pleine d’humour, du fond de sa verte Irlande.

Un soir alors qu’elle se préparait à se mettre à table, un inconnu téléphona à Madame McCaffrey pour lui demander de parler des dragons. L’homme était étrange, il semblait terrifié. Prise d’une soudaine intuition, Madame Anne lui propose de la rejoindre chez elle. Il était à peine arrivé qu’un autre visiteur se présentait à la porte : Epiphanius Tighe, éminent spécialiste en tout. Hasard des hasards, nul ne le sait mais ce bon ami de notre hôtesse était la meilleure personne pour répondre aux questions de l’inconnu.

Le roman se poursuit, rythmé par les rencontres et les repas des trois protagonistes se racontant des histoires de dragon pour résoudre le terrible problème de Sean, l’inconnu du téléphone. C’est l’occasion pour les auteurs de dévoiler tout ce qu’ils connaissent des dragons et de donner un petit coup de pouce à d’autres écrivains. Comme le tout est merveilleusement illustré par John Howe auquel on doit, entre autres, les superbes calendriers Tolkien, il n’y a pas de raison de se passer de ce superbe (et très grand) livre.

Sara Doke 

N

John NORMAN

John NORMAN

Les monstres de Gor **

J’ai Lu n° 4642

 

John Norman se reprendrait-il avec ce douzième volume de la saga ? Pas vraiment, du moins l’intrigue proprement dite occupe-t-elle cette fois environ la moitié du livre, ce qui est un net progrès par rapport aux précédents ! Je passe donc sur les considérations habituelles sur l’esclavage pour vous lancer sur les traces de Tarl Cabot. Sa mission ? Aller surveiller le grand Nord, dans lequel on a décelé un étrange comportement des troupeaux, et signalé une "montagne qui ne bouge pas" (ce qui est, avouons-le, plutôt inhabituel pour un iceberg). Parti de Port Kar, il atteint la fameuse foire d’En’Kara, aux pieds des monts Sardar. Après avoir assisté à une grande partie de Kaissa (genre d’échecs), il part donc vers le Nord. Il sera fait prisonnier par une femme (n’ayez crainte, il l’asservira bientôt), détruit le Mur destiné à détourner les troupeaux, puis se réfugie chez les Inuits. Le peuple polaire est bien évoqué, avec des détails pittoresques : "Les chasseurs rouges refusent de dire leur nom. Et si le nom s’en allait ? Que se passerait-il si, ayant franchi leurs lèvres, il ne revenait pas ?" (p. 203). Description de chasses, de chants, de mœurs. Il s’avère finalement qu’existerait en effet cet iceberg immobile. Tous y vont, mais seront interrompus par une terrible tempête, puis assaillis par une bande de sleens affamés, scènes excellentes, dans lesquelles Norman retrouve son souffle antérieur. Finalement, ils trouveront l’iceberg en question qui s’avère bien la tête de ponts des Kurli, préparant l’invasion de Gor. Longue discussion intéressante entre Tarl et Demi-Oreille, le chef Kur. Bataille finale où Tarl est sauvé in extremis par tous les Inuits. Vous voyez, cette fois, nous avons un "bon" Gor (tout est relatif, évidemment), plus consistant que les autres. Allons, il ne fallait pas désespérer.

Bruno Peeters

John NORMAN

Les Tribus de Gor *

J’ai Lu n° 4026

 

Je vous avais prévenus dès la parution des deux premiers volumes du " Cycle de Gor " (voir Phénix n° 32) : si les quatre premiers romans sont réalisés de main de maître, et comptent incontestablement parmi les sommets d’une certaine héroïc-fantasy, les suites se révèlent de plus en plus faibles, de par l’importance énorme accordée à l’aspect sadomasochiste des mœurs de l’Anti-Terre.

En fait, le problème essentiel de ces suites est celui-ci : dès le départ, une question importante, cruciale même pour la vie de la planète Gor, est posée. Mais cette question ne sert que de filigrane durant tout le roman, lequel se voit dilué par d’innombrables scènes totalement secondaires, et qui prennent, de par leur ampleur, une importance démesurée. Tout est rectifié à la fin, et la question initiale se voit soit résolue, soit repoussée au roman suivant. Mais la trame essentielle aurait pu tenir en dix pages… Nous en avons un exemple typique avec ces " Tribus de Gor ", dixième volume de la Saga.

Bruno Peeters

John NORMAN

La Captive de Gor *

J’ai Lu n° 4500

 

Les derniers romans de la série Gor étaient basés sur deux motifs. L’un, extrêmement ténu, formait l’intrigue : danger, invasion, rapt menaçant Gor, l’Anti-Terre. L’autre, omniprésent, était constitué par les sentiments sadomasochistes des rapports entre Maîtres-mâles et Esclaves-femelles (j’hésite à écrire " femmes "). Du moins y avait-il encore un semblant de trame, comme dans " Les Tribus de Gor ". Cette fois, John Norman abat ses cartes. Et supprime carrément tout fil conducteur. Comme tant d’autres avant elle, Judy Thornton est une Terrienne " enlevée " et amenée sur Gor. Nous suivons patiemment sa trajectoire d’esclave. Ravie par des voleurs, puis capturée par des mercenaires, qui lui en feront voir de toutes les couleurs (passages érotiques garantis), la voici paysanne, expérience nouvelle (" mon rôle ne consistait pas à labourer, mais à être labourée "), esclave d’un marchand ambulant, puis d’un capitaine de Turia. Enlevée par un bel officier, Rask de Trêve, à dos de Tarn, elle deviendra Esclave de Taverne dans la ville d’Ar, puis, coup de théâtre, rencontrera une ancienne condisciple d’université, elle aussi élevée sur Gor, mais qui l’asservira. La pauvre Judy, en plus, est porteuse d’un message incompréhensible pour les Kurii (voir les épisodes précédents). Bref, sa condisciple se verra également asservie, pour la plus grande joie de notre Judy. Et tout finira dans la plus belle ivresse de l’esclave conquise par le viril Clitus Vitellius, et heureuse de l’être. À vrai dire, il faut parfois du courage pour poursuivre la lecture. Les répétitions constantes, loin des épithètes d’Homère auxquelles elles voudraient peut-être se référer, lasseraient le plus élémentaire des lecteurs. Et la psychologie, éternellement ressassée, est consternante. Mais comme je me suis juré de lire tout Gor, par fidélité aux quatre premiers volumes, je continue, vaillamment.

Bruno Peeters

 

O

 

P

Jean-Pierre PLANQUE & Patrick RAVEAU Pierre PELOT Alain PELOSATO

Douglas PRESTON / Lincoln CHILD

Jean-Pierre PLANQUE & Patrick RAVEAU

Terraborn **

Les Éditions du Haut Château

 

" Space-opera ? Heroic-fantasy ? Récit initiatique, ou conte philosophique ? " interroge la bande publicitaire. De tout cela un peu, sans doute, en insistant sur " space-opera " et sur " conte philosophique ". Dans sa postface, Jean-Pierre Planque se distancie pourtant du space-opera actuel, qui n’est pas la " remise en question " qu’il désire. "Terraborn" mélange action et réflexion. Une action complexe et diffuse, éparpillée entre de nombreux personnages, se déroulant à Khern, ville-pilote de Terraborn, colonie terrienne. Réflexion axée sur la tradition d’une civilisation originelle, symbolisée par de mystérieuses " pierres-mémoire ", minéraux quasis vivants, qui contiennent la mémoire des vies… Il y aura bien sûr confrontation violente entre les deux conceptions, aboutissant à une grandiose explosion colorée et presque mystique. Dans laquelle, magnifique, s’exaltera la musique… Roman difficile mais attachant, "Terraborn" intéressera les nostalgiques d’une certaine SF politique des années soixante-dix, mais aussi tous ceux qu’inquiète la nature " colonisatrice " de notre race.

Bruno Peeters

Pierre PELOT

Les Mangeurs d’Argile (Les Hommes Sans Futur 1) ****

Présence du Futur n° 585.

 

Ah, cruel destin ! J’en reviens à peine. Que mon aveuglement bassement anglophile ne m’ait pas fait découvrir Pierre Pelot des années plus tôt me scie la cervelle de part en part ! Cet homme est extraordinaire. FORMIDABLE comme dirait le guignol de Jack Lang dans ses accès laudatifs les plus poussés. Paru chez Pocket en 1981 et réédité cette année chez Denoël, la saga des hommes sans futur se passe dans un avenir pas très lointain où la race humaine a subit un " saut d’évolution " comparable à celui qui sépare aujourd’hui les hommes de leurs cousins les singes. Conséquence immédiate, les humains simples (qui s’appellent entre eux les mangeurs d’argile car ils subsistent encore grâce aux produits de la terre) voient naître en leur sein des Supérieurs qui ont vite fait de quitter le giron familial pour rejoindre les leurs. C’est dans cette atmosphère de fin de règne pour une race qui croyait pouvoir dominer l’Univers tout entier que Pelot situe le premier volume de cette passionnante série. Dans " Les Mangeurs d’Argile ", nous suivons les déboires de Caïne, un bois-bonheur (sorte de shaman qui serait capable d’assurer à une femme simple d’accoucher un enfant simple et non d’un supérieur) attaché au service d’un vieux shérif de la banlieue de Little Rock, États-Unis. Au travers de cet anti-héros désabusé aux frontières morales par toujours très claires, Pelot nous fait pénétrer dans un univers qui se situe quelque part à la limite entre " Le Fléau " de King et une version soft de " Mad Max ". Mais réduire cet excellent roman à une simple comparaison serait bien trop injuste et je me dois de vous dire que la lecture de cet opus offre tellement de possibilités à l’imagination, ouvre tellement de portes et glisse tant de réflexion dans les replis de la cervelle du lecteur qu’il serait presque criminel de le rater. Sauf évidemment, si, à l’inverse de votre serviteur, vous connaissez déjà Pierre Pelot. Dans ce cas, relisez-le, ça ne vous fera pas de mal !

Christophe Corthouts

 

Pierre PELOT

Saison de Rouille ***

Présence du Futur n° 586

 

Voici donc le second volume de la série des " hommes sans futur " de Pierre Pelot. Pour ce second chapitre, Pelot nous emmène sur les bords de la Méditerranée, une Mare Nostrum tellement polluée qu’elle se réduit à une immense flaque de pollution porteuse des maladies les plus létales. L’une d’entre elle, " La Pourriture " comme la nomment les habitants fait de tels ravages qu’une évacuation totale du secteur du Delta (géographiquement dans le sud de la France) a été commandée afin de pouvoir entreprendre la construction d’un monde meilleur, débarrassé de toute forme de pollution. Le lecteur est amené à suivre cette aventure apocalyptique au travers des yeux de deux personnages que tout oppose. D’une part Hierro Setiembre, " chasseur " au service de la société mise sur pied pour faire le " ménage ", et d’autre part Polynésie, jeune fille au caractère trempé qui apprendra très vite ce qui se cache derrière les bonnes intentions de la soldatesque.

Vous en dire plus serait déflorer un roman aux surprises multiples, à l’écriture toujours aussi travaillée, mais à l’intrigue un peu tirée en longueur. L’ombre des " Supérieurs " plane toujours sur le monde, mais nous en apprenons moins sur leur univers que dans " Les Mangeurs d’argile " et le lecteur reste parfois sur sa faim (paradoxal pour un roman un peu longuet, je vous l’accorde).

Bref un roman qui s’élève facilement au-dessus de la masse des sorties (ou ressorties) SF de ces dernières semaines, mais au vu des " Mangeurs d’Argile " nous en attendions un petit peu plus… Ce sera sans doute pour le troisième volume.

Christophe Corthouts 

Alain PELOSATO

La Compagnie des Clones ***

Éditions Naturellement, coll. Fictions

 

Voici un roman qui vient à son heure ! Qui, en effet, n’a pas entendu parler du problème du clonage depuis… " Dolly " ? Bien entendu, le clonage n’a pas attendu l’apparition récente du charmant capridé britannique : il fut l’objet depuis longtemps de l’attention SF de nombreux auteurs. Souvenons-nous de " Clone " de Richard Cowper (1972), de " Ces Garçons qui venaient du Brésil " d’Ira Levin ou de " Copies conformes " de Pamela Sargent, tous deux de 1976. Le thème prenant de l’actualité, il était naturel qu’il engendrât quelque nouvel avatar. Celui d’Alain Pelosato est tout-à-fait intéressant, en ce sens qu’il le lie intimement avec le politique. Son monde futur est dirigé par la SOMOP (Société Mondiale de Production), dont les dirigeants survivent grâce au clonage, précisément. La gérontocratie communiste devrait s’y reconnaître… La Terre est divisée entre Ennos et Ennels, producteurs et destructeurs. Le jeune Frantet, membre du " Parti ", doit découvrir et récupérer un CD (non, pas de musique rock : l’écoute en est interdite) capital, permettant de faire " revivre " Beauvirus, un grand fripon informatique échappé à son créateur. Ce qu’il fera avec l’aide de son amie Laureen (Bacchal de son nom de famille), qui se fera élire contre le Parti… SF politique donc, mais amère, car l’on réalisera bientôt que les dirigeants clonés demeureront au pouvoir. Alternance de passages violents et impressionnants, puis de plages romantico-écologiques (où l’on reconnaît l’amoureux du Rhône, des eaux et de la pêche en rivière qu’est Alain Pelosato), ce livre est excellent, et donne à réfléchir tout en respirant la nature. Un bain de fraîcheur et… une leçon d’avenir !

Bruno Peeters 

Douglas PRESTON / Lincoln CHILD

Relic **

Presse Pocket Terreur n° 9

 

Voici donc paru en poche un roman qui a fait l’objet, l’année dernière, d’une adaptation cinématographique dont on a peu parlé de ce côté-ci de l’atlantique. On s’imagine pourquoi en lisant " Relic " qui s’essaie à l’extrapolation scientifique à la Michael Crichton sans arriver à la cheville du maître en la matière. Ce n’est pas que " Relic " soit mauvais, mais l’on sent bien au fil des pages que les auteurs (un romancier et un scientifique) se sont retrouvés un matin avec un excellent concept, sans trop bien savoir comment l’exploiter. Voyez plutôt : imaginons un instant que la théorie de Darwin sur l’évolution ne soit pas la seule valable ? Qu’il existe dans la nature des anomalies, des délires génétiques qu’aucune théorie classique d’élimination des moins adaptés ne puisse expliquer ? Mieux : imaginons que ces aberrations soient en fait des créations de mère nature pour mettre fin au règne de certains animaux trop dominants comme les dinosaures ou… l’homme ? Imaginons enfin qu’une de ces créatures, venue du fin fond de la forêt amazonienne, se retrouve dans les recoins sombres du plus grand musée du monde ?

Avec un préambule pareil, on aurait voulu que le couple Preston-Child nous serve autre chose qu’une vaste partie de cache-cache, un remake du Monstre du Musée entrecoupé de pénibles interludes verbeux où défenseurs de la science pure et dure s’accrochent sans relief avec les amateurs de la science spectacle et d’une vulgarisation trop proche des Parcs d’attractions. De plus, les personnages se baladent avec des étiquettes grosses comme des maisons collées sur le dos et pas un seul n’est assez sympathique ou intéressant pour attirer le regard du lecteur.

Bref " Relic " est le type même du produit manufacturé américain, construit autour d’un simple concept, jeté sur le marché dans la queue d’une comète commerciale (dans ce cas-ci, Jurassic Park) et destiné à alimenter un serpentin de produits dérivés qui vont du film à la boîte de céréales. Une lecture " fast-food " comme il en existe des milliers d’autres. Évidemment, un petit " Mac Do’ " de temps à autre, ça ne fait pas de mal !

Christophe Corthouts

Q

 

R

RESNICK Mike REMY Yves et Ada Easton Royce Jennifer ROBERSON

Easton Royce

Aux frontières du Réel :

âmes damnées **

J’ai lu 4725 **

Eric Elfman

Une petite ville tranquille **

J’ai lu 4726 **

 

Ces 2 livres sont les novélisations des 2 épisodes des " X-files " (" Aux frontières du réel "), à savoir : " Syzigy " et " Our town ". Le premier est un des rares épisodes de la série à jouer le registre de la comédie et raconte l’histoire de deux adolescentes qui héritent de pouvoirs paranormaux suite à une configuration particulière des planètes et des étoiles. Le second plonge Scully et Mulder dans une ville dont les habitants sont cannibales et se transmettent sans le savoir la maladie de Kreuzfeld-Jacob.

Les deux auteurs se tirent plutôt bien du piège que peut être la mise en livre d’une série ou d’un film. Il s’agit ici de deux novellas (120 pages par texte) dont la caractéristique principale est la fidélité totale à l’épisode qu’elles retranscrivent. On peut considérer cela comme un bon point.

Si le lecteur a déjà vu l’épisode, cela perd une partie de son intérêt, mais dans la mesure où les livres sont écrits dans un style neutre et facile (" produit " oblige), ils se laissent lire sans difficulté.

À réserver aux fans des X-files qui ne se satisferaient pas du support télévisé.

Alessandro Arturo

 

RESNICK Mike

LE FAISEUR DE VEUVES

RENAISSANCE

Présence du Futur n° 588

 

Le deuxième essai est souvent meilleur que le premier, dit-on… Avec ce deuxième tome des aventures de Jefferson Nighthawk dit le Faiseur de Veuves, Mike Resnick nous dresse le portrait d’un tueur hors pair et hors série.

La première version du clone, Jefferson Nighthawk II, était falote, trop jeune, travaillée par ses hormones et incapable de relever le flambeau de son brillant alter ego. La deuxième mouture est, de loin, plus efficace et plus mûre. Cette fois-ci, pour organiser l’assassinat d’un révolutionnaire pirate et récupérer (quoique) la fille du potentat visé par le précédent, les médecins comme les avocats de Nighthawk ont décidé de mettre toutes les chances de leur côté. Créer un nouveau clone (c’est toujours illégal) du plus grand tueur à gages de tous les temps, c’est bien beau, mais, peut-être que si on lui donnait la mémoire du maître, il serait un peu plus débrouillard que le précédent. Heureusement pour nôtre petit plaisir égoïste de lecteur, et malheureusement pour ces avocats qui comptaient bien se débarrasser de l’encombrante réplique une fois le contrat rempli et l’argent engrangé, ça marche ! Non seulement Jefferson Nighthawk version 1.3 est aussi efficace que la source, beaucoup plus débrouillard que son prédécesseur mais, un homme d’une trentaine d’années avec la mémoire et l’expérience d’un tueur plus que centenaire, rien ne peut l’arrêter, quoique…

Mais ce qui change surtout de la première version, c’est qu’au lieu d’être obsédé par le meurtre du premier Nighthawk, le troisième souhaite le sauver, considérant le mourant comme un père plutôt qu’un rival…

Le résultat est donc détonant, des personnages humains, avec défauts et cicatrices, des situations extraordinaires et des réactions qui le sont parfois un peu moins… Bref, un vrai roman d’aventures et de science-fiction qui fait fort penser à un bon vieux western d’avant-guerre : les gentils, les méchants, le tueur à gages, la fille, le saloon et le politicien multimilliardaire corrompu jusqu’à l’os… La recette a toujours fait ses preuves.

 

REMY Yves et Ada

Les Soldats de la mer

Fleuve Noir, "Bibliothèque du Fantastique"

 

Réédition importante. "Les soldats de la mer" a paru chez Julliard en 1968 et attira immédiatement l’attention des amateurs de fantastique. Il s’agit d’un roman sous forme de dix-sept nouvelles se déroulant sur une Terre parallèle (il y a deux lunes, et les vampires y sont réels), évoquant plus ou moins le début du XIXe siècle. Une "Fédération" regroupant des cités-états aux noms mi-allemands mi-français (Marienbourg, Lauterbronn, Ozmüde) n’a de cesse de s’étendre, et ce monde est donc un monde militaire, dont les héros sont généraux, colonels ou lieutenants. Les premières nouvelles nous introduisent petit à petit dans cet univers différent, qui prend bientôt toute sa cohésion par allusions successives. Par deux fois existera un contact avec le "vrai" monde, le nôtre. L’intérêt va croissant, tout comme le nombre de pays englobés par la très belliqueuse Fédération. Jusqu’à ce qu’elle tombe sur le "petit village irréductible", ici quelques îles insoumises. Leur reine expliquera alors pourquoi il s’agit d’arrêter l’expansion et, surtout, révélera les fondements du monde des "Soldats de la mer". Où le lecteur, envoûté, comprendra enfin le titre… Superbe œuvre, au style extrêmement soigné, elle a pour auteurs les époux Remy, deux cinéastes institutionnels, bien présentés ici par Daniel Riche, dont les rêves écrits tiennent en ce roman-recueil, et en quelques nouvelles, toutes également présentes. La plus longue, "Le Roi d’arbres", est une très fascinante histoire magico-mythique de trois aventuriers à la recherche de diamants fabuleux dans une forêt d’Amérique du Sud, et qui rencontreront une déité végétale des plus cruelles… Dans "Coups de pistolet dans la forêt", le héros (et le lecteur) perd pied, pris dans une hallucinante et fatale succession de rêves emboîtés. Pour clore le recueil, Daniel Riche a choisi une pièce radiophonique fort originale, diffusée sur France-Culture en 1970, "Le Colporteur de bruits". Entouré d’une nourrice et de deux aides, Gehlen vend des bruits ; forêt tropicale, sonneries, cascades, cochon égorgé, cris d’enfants, bombardements, tous les bruits commandés sont livrés. Mais quel but poursuit-il ? Et qui est Gehlen ? Le diable, probablement…

 Jennifer ROBERSON

CHronique des Cheysulis

La piste du loup blanc ***

Pocket n° 5592

 

Les lecteurs de Phénix connaissent mieux Jennifer Roberson depuis le N° 42 qui lui consacrait un dossier " découverte ". Ce jeune auteur anglo-saxon (américaine pour être exact) est sans doute un des meilleurs de sa génération. D’une imagination riche et poétique, dotée d’un style intelligent et plein de charme, capable de construire une histoire sur huit volumes sans redondances, elle est indiscutablement un grand écrivain. Ce quatrième volume des " Chroniques des Cheysulis " permettra aux lecteurs francophones de confirmer mes dires et leurs premières impressions.

Les choses se compliquent en Homana, fils de Donal et d’Aislinn, du premier roi Cheysuli depuis quatre cents ans et de la fille du fameux roi Karyon, Niall ne se sent pas capable d’hériter du trône. Il a dix-huit ans mais toujours pas de Lir, cet animal magique qui se lie à un guerrier cheysuli et lui permet d’accomplir sa destiné, sa Talhmorra. Il ne ressemble d’ailleurs pas à un guerrier de la race magique, il est le portrait craché de son grand-père. Alors, pour Homana comme pour la Forteresse, il est imparfait et tous tentent de lui trouver un remplaçant pour le trône. Pourtant, Niall est l’un des chaînons de la prophétie, sans lui, les premiers nés ne reviendront pas.

Ceux qui n’ont pas encore succombé au charme de cette saga pleine de magie, de poésie et d’intelligence ne savent pas ce qu’ils ratent ! Romans épiques d’un peuple et d’une poignée d’hommes d’exception, alternant tour à tour batailles sanglantes et duels magiques, trahisons et émerveillement, " Les Chroniques des Cheysulis " sont de la grande fantasy, ne résistez plus !

Sara Doke

 

S

SAWYER Robert J. R.A. SALVATORE John SAUL Caroline SPECTOR Valérie SIMON

Gilles SERVAT Clifford D. SIMAK

John Saul

Les Chroniques de Blackstone **

VolumeS 1,2,3.

J’ai Lu

 

Il fallait s’y attendre, le succès phénoménal de " La Ligne Verte " de King, extraordinaire feuilleton au parfum de chef-d’œuvre, a fait des émules. Avec l’arrivée des " Chroniques de Blackstone ", John Saul est donc le premier, sur le marché francophone s’entend, à essayer de se glisser dans la brèche ouverte par King. Évidemment, avec John Saul, la surprise est toujours au rendez-vous… Attention, je ne parle pas des bouquins eux-mêmes, mais du passé littéraire de notre ami. Parce que jusqu’ici, il nous a tout fait. Le pire (" Hantise ", une histoire de fantômes à la con, tout juste bonne à coincer la porte de l’armoire normande) et le meilleur (" Foudre Noire ", un thriller solide et bien charpenté). Alors, avec les " Chroniques ", restait à savoir s’il s’agissait d’une bonne ou d’une mauvaise surprise… Au risque de vous paraître normand, je dirais, ni l’un, ni l’autre… Je m’explique. " Les Chroniques de Blackstone " prennent pour fil conducteur l’asile de la petite ville des États-Unis (oui, Blackstone, c’est le nom de la ville imaginée par Saul, un peu son Castle Rock à lui…), asile désaffecté dans les couloirs duquel déambule un personnage énigmatique. Le but de cette silhouette ? Récupérer, dans une chambre secrète, des objets, qu’elle s’empresse d’adresser à une série de personnes triées sur le volet. Dans les trois premiers volumes nous avons donc, dans l’ordre, une poupée, un médaillon et un briquet. Constant également, le sort des gens qui reçoivent ou s’approchent de ces objets : ils meurent atrocement. Jusque-là, me direz-vous, rien de bien feuilletonesque, on se trouve plutôt face à la structure d’une série télé, proche de celle qui fut, il y a quelques années, produite dans le sillage de " Vendredi 13 ". Et je vous dirais que vous n’avez pas tort. Alors, pour lier la sauce, Saul nous fait partager la vie et les déboires d’Olivier Metcalff, journaliste et perturbé par d’étranges visions. On imagine ainsi dès le second volume que le jeune journaliste possède sans doute une des clés de l’énigme des morts violentes de Blackstone, mais nous allons devoir attendre le sixième opus pour en avoir la certitude.

Le problème de ces " Chroniques " ne vient pas de leurs qualités propres, Saul sait écrire, il sait planter des personnages et ses mini-descentes aux enfers sur cent pages ne manquent pas de charme. Le problème c’est, encore une fois, que King est passé par là avant lui. Avec une histoire qui tenait vraiment en haleine sur six volumes, sans donner l’impression de se répéter. Avec des personnages plus attachants, un verbe plus personnel, une ampleur bien plus importante. Certes, il est triste de devoir mesurer les qualités d’une série par rapport à une autre, mais le lecteur qui se sera déjà plongé dans " La Ligne Verte " ne manquera pas de le faire et de trouver ainsi matière à redire aux formules trop apparentes employées par John Saul. Mais rendons tout de même à César… Il me tarde de lire le dernier volume afin d’en apprendre un petit peu plus… Mais je survolerai, sans doute à tort, le quatrième et le cinquième épisode.

Christophe Corthouts

 

John SAUL

Les Chroniques de Blackstone ***

Vol. 1 : La poupée

Vol. 2 : Le Médaillon

Vol. 3 : Le Briquet

Vol. 4 : Le Mouchoir

 

John Saul est un auteur depuis longtemps confirmé, habitué des listes de best-sellers, mais pas unanimement reconnu comme un "grand", surtout par ses condisciples, dont Stephen King. Et pourtant, King est la première personne que John Saul remercie dans la préface de son récit (car, sans "La Ligne verte", "Les Chroniques de Blackstone" auraient-elles vu le jour ?). Soit…

Blackstone est la ville fétiche de Saul, cadre de plusieurs de ses romans. Dominant la petite communauté, l’ancien asile de Blackstone, là-haut, sur la colline, est en passe de devenir un centre commercial moderne, pôle d’attraction certain. Mais une silhouette rôde dans les pièces délabrées de la bâtisse et prélève de-ci, de-là, quelques objets porteurs de traumatismes ou de souvenirs : une poupée qui échoit chez les Mc Guire et qui y sèmera la violence et la mort ; un médaillon, qui déclenche chez son possesseur une crise de paranoïa aiguë, un briquet qui crache des flammes dévastatrices et un mouchoir qui induit des visions cauchemardesques.

Chaque volume, dont la lecture ne prend guère plus d’une heure, est construit sur base d’un équilibre personnel qui vole en éclats (là, une mère est obsédée par la perte de son enfant, là c’est la suspicion d’adultère qui déclenche le cataclysme, là c’est le fanatisme religieux…) mais là où ce roman-feuilleton se démarque de "La ligne verte", c’est dans la progression entière de l’intrigue. Alors que King faisait évoluer les mêmes personnages tout au long des six volumes, Saul campe à chaque fois de nouveaux pauvres héros. D’où l’inconfortable impression d’un délayage outrancier d’une idée minimale.

Le quatrième volume vient heureusement tempérer ce constat : les pièces du puzzle s’imbriquent, les personnages s’orientent vers leur destin final et le sentiment de malaise, de volcan prêt à cracher sa lave s’installe.

On attend avec grande impatience la fin de l’histoire. Le pari de John Saul est gagné.

Eric Albert

 

SAWYER Robert J.

Expérience terminale

J’ai Lu n° 4703

 

Voici un passionnant thriller qui se lit d’une seule traite. Il ne s’agit pas de "fausse" science-fiction : les éléments science-fictifs sont indispensables au récit. Un scientifique, Peter Hobson, prouve l’existence de l’âme, rien de moins. Pour savoir à quoi ressemble l’au-delà, il scanne trois clones de son cerveau dans son ordinateur : "Esprit", dont Hobson a omis de scanner les cinq sens, est un pur esprit, comme son nom l’indique ; "Ambrotos" ne ressent plus la peur de la mort ni du vieillissement et peut donc se considérer comme un immortel ; le troisième clone, non modifié, sert de témoin à l’expérience. Laquelle va rapidement déraper lorsqu’un des trois clones se met à assassiner les gens qui ont eu le malheur de déplaire au "vrai" Peter Hobson. Tout le problème réside dans l’identification de l’assassin (lequel des trois ?) et surtout dans la manière de le mettre ensuite hors d’état de nuire, celui-ci ayant la bonne idée (pour lui) de fuir sur Internet : il peut ainsi se déplacer partout dans le monde à la vitesse de la lumière. "Expérience terminale" a obtenu le prix Nebula 1995. On se doute bien, dès lors, que le récit est moins simpliste que ne le laisse supposer le bref résumé qui précède. La quête de l’au-delà mène Hobson à de savoureux dialogues avec ses doubles : la définition de la mort (selon "Esprit"), notamment, n’est pas piquée des hannetons. Ce roman n’est pas seulement passionnant, il est également original et attachant. Originale, la manière dont l’assassin sera finalement débusqué. Attachant, le personnage de Peter Hobson lorsque, à son tour, il aura trouvé la réponse à la question que nous nous posons tous : qu’advient-il de nous après la mort ? Belle réflexion sur ce sujet a priori peu divertissant. Ce roman est fait pour ceux qui, nombreux en ces temps troublés, ont soif d’espoir et d’optimisme.

R.A.SALVATORE

La Trilogie du Retour aux Sources

* Les Revenants du fond du gouffre ***

Fleuve Noir, Legend n°18

* La Nuit éteinte ****

Fleuve Noir, Legend n°19

* Les Compagnons du renouveau **

Fleuve Noir, Legend n°20

 

Voici donc la dernière partie de cette triple " Trilogie de l’Elfe Noir ", comme je vous l’annonçais dans ma dernière critique. " Nonalogie " remarquable, et qui restera, je le pense, un jalon important dans l’évolution de la fantasy contemporaine.

Dans ce volet final, tout tourne donc autour de la résurgence du monde de Menzoberranzan, qui n’a jamais pu accepter la " désertion " de Drizzt Do’Urden, et sa fuite vers la surface. Les intrigues qui caractérisaient cet univers souterrain infernal (voir la première trilogie) se catalysent dès lors sur un seul sentiment : la vengeance et, partant, la récupération (= liquidation) de l’Elfe maudit. Dès lors, dans " Les Revenants du fond du gouffre ", beaucoup de bagarres à nouveau pour Drizzt et ses amis, contre des gobelins d’abord, puis contre les Drows eux-mêmes. Réapparition aussi du terrible assassin Artemis Entreri, l’ennemi juré de Drizzt. Le roman se clôt tristement, avec la mort de Wulfgar le barbare, le fiancé de Catti-Brie… Quelques superbes exclamations ponctuent le récit, telle : " Placer une espèce au-dessus des autres sous prétexte que c’est la mienne déprécie mes précieux principes. Les fausses valeurs qui inspiraient ma décision n’ont aucun droit de cité dans mon nouvel univers, celui, infini, des différences culturelles et physiques. Ces divergences mêmes rendent mes voyages palpitants, car ils ont pour toile de fond la merveilleuse palette de la beauté universelle. " (p. 151-152). À méditer, non ?

Dans " La Nuit éteinte ", affolé par la menace constante que représente son monde d’origine, Drizzt Do’Urden décide de revenir seul à Menzoberranzan, pour expier les fautes de son peuple, et assurer définitivement la paix de son nouvel univers. C’est sans compter sur l’affection, puis l’amour de Catti-Brie, qui vole à son secours. À eux deux ils affrontent les mondes ténébreux des maisons souterraines, et de leurs Matrones despotiques. L’on sent ici la joie de l’écrivain qui retrouve son Menzoberranzan et le décrit avec délectation (la relève de la garde p. 39 e.s., par exemple). L’on retrouve évidemment Guenhwyvar, la panthère astrale, mais aussi Belwar, le gardien-piocheur aux bras en forme d’outils, les Illithids à tête de pieuvre, les étranges " Elémentaux de terre ", des minotaures, mais aussi Entreri bien sûr. Drizzt cependant, malgré son origine, tient bon : " Jamais il ne s’habituerait à la férocité de sa race. Et il en était heureux. " (p. 141.). Combats finals, explosion générale, et première victoire.

Victoire qui sera entièrement assumée et réussie dans le tout dernier volume, " Les Compagnons du renouveau ". Cette fois-ci, c’est l’apothéose, le Crépuscule des Dieux. Matrone Baenre, première Matrone de Menzoberranzan, lance toutes ses forces contre Mithrid Hall, bastion de Drizzt et de ses amis de la surface. Salvatore joue à fond de la magie des noms de héros ou d’armes, tels Zeerith Q’Xorrlarin, Ghenni’tiroth Tlabbar, Bregan D’aerthe, Khazid’hea (qui évoquent C.A.Smith) ou Griffegorge, Cherchecoeur, Courtine Serrepince, Flachecabriole ou Gaspard Pointepique (parfois inversé en " Piquepointe "), qui eux font plutôt penser à Mervyn Peake. L’écriture, très serrée, laisse peu de place à la description : pensée et action défilent à toute vitesse. L’action ? Revenons-y… vite. Minés par les dissensions internes inhérentes à leur société basée sur la violence et la haine, les Elfes noirs seront finalement refoulés, définitivement. Je voudrais terminer sur cette belle et profonde déclaration du héros, à propos de la Foi, cette fois-ci : " Rien de tangible n’étaye la foi. Elle vient du cœur et de l’âme. Requérir la preuve de l’existence d’un dieu abîme la notion même de spiritualité ; le sacré est réduit à la logique. " (p. 63). Merveilleuse expression d’une intériorité passionnée qui parcourt tout cet immense cycle de l’Elfe Noir, incontestablement une très grande réussite. Le premier cycle s’impose absolument, par le choc d’une approche nouvelle et révolutionnaire du genre. Quant à l’ensemble, s’il accuse parfois quelques fléchissements, il demeure une de mes plus grandes émotions en fantasy de ces dernières années. Je vous le recommande donc très très chaleureusement.

Bruno Peeters

 

R.A. SALVATORE

L’Épée de Bedwyr ***

J’ai Lu n°4730 "Fantasy "

 

Retour au premier plan de R.A.Salvatore, dont, rappelez-vous, j’avais tant apprécié la "Trilogie de l’Elfe Noir" (voir Phénix n° 37 "Terreur " p. 422), véritable chef-d'œuvre de dark fantasy. Cette fois, l’auteur nous propose une nouvelle série fort différente, mais tout aussi passionnante. Nous sommes à présent dans un univers de high fantasy, se rapprochant du merveilleux et du conte de fée. Évoquant l’époque gallo-romaine, Salvatore fait évoluer un jeune fils de famille, Luthien, dans un monde dominé par un roi-sorcier allié aux cyclopes. Le jeune Luthien s’affranchira de son univers clos pour rencontrer successivement un bandit de grand chemin fort rigolo, puis un mage haut en couleurs, qui lui confiera une mission : retrouver son bâton mystérieux. Mission accomplie, durant laquelle notre héros affrontera un dragon (terrible, bien sûr). Il tombera ensuite amoureux, ce qui lui occasionnera pas mal de déboires. Tout finira bien. L’intrigue, pour passionnante qu’elle soit, n’a pas trop d’importance. Nous avons ici l’archétype du roman d’heroïc-fantasy : un héros sympathique mais un peu sot, un faire-valoir comique, un peuple opprimé par des méchants alliés à des monstres bêtes et stupides (les cyclopes), une quête, des cavernes mystérieuses, un trésor, un combat contre un dragon, des scènes de taverne, des voleurs nocturnes, des gargouilles vivantes, une fille superbe mais esclave… tout y est, pour notre plus grand plaisir (au premier et au second degré). Luthien deviendra, un peu malgré lui, l’" Ombre Pourpre ", symbole de la défense des opprimés ! Ombre Pourpre dont ce premier tome ne nous narre que le début de l’épopée, semble-t-il. Le roman idéal pour initier le débutant au genre, la narration étant tout-à-fait linéaire. Débutant qui souhaitera, comme moi, rapidement connaître la suite…

Bruno Peeters

 

Caroline SPECTOR

EARTHDAWN

La trilogie des immortels

Cicatrices *

Fleuve Noir Legend n° 4

 

" Earth Dawn " est l’un des rares mondes de jeux de rôle qui nous offre, à nous fans de SF et de fantasy, des lectures dignes de ce nom. Loin des poncifs du genre et des histoires où l’on voit rouler les dés à chaque carrefour, les aventures des personnages de ce monde terrible et douloureux ont une réelle profondeur et vivent des histoires tout aussi terribles et douloureuses sans pour autant sacrifier aux stéréotypes. Malheureusement, l’idée de départ de chaque trilogie semble toujours être la même, ce qui est généralement le cas de ces romans de jeux de rôle. En effet, le monde d’" Earth Dawn " étant infesté d’aliens appelés Horreurs, il va de soi que les personnages principaux de ces romans destinés aux joueurs sont eux-mêmes aux prises avec ces Horreurs… Après les aventures du trop humain J’Role qui fit souffrir toute sa famille, allant jusqu’à tenter de mutiler ses propres enfants avant de parvenir à la rédemption en passant par toutes les douleurs possibles en rencontrant l’amour d’une femme plus triste que lui-même, c’est le tour d’Aina, jeune et belle elfe noire dont le cerveau abrite l’ennemi juré de tout son monde.

Les aventures que vivra cette jeune femme ne sont pas tout à fait les mêmes que celles vécues par son alter ego humain, mais elle les rappelle malheureusement un peu trop. Au lieu de nous faire visiter de nouveaux terrains de jeux, cette nouvelle trilogie approfondit nos connaissances, ce qui est fort dommage. Cependant, les amateurs de dark fantasy qui aiment les histoires tristes et douloureuses où tout finit toujours mal et où le sang coule à flots apprécieront cette nouvelle trilogie qui a le mérite d’être bien écrite et de faire oublier le jeu dont elle est issue.

Sara Doke 

Valérie SIMON

Yanis, déesse de la mort

Sinien, déesse de la vie **

Fleuve Noir, SF Legend n° 22-23

 

Tiens, une Française écrivant de la fantasy, c’est rafraîchissant… Mais tout de même un peu décevant, malheureusement… Valérie Simon est très douée pour les scènes d’action, assez douée pour les dialogues, mais ses descriptions sont terriblement longues et ennuyeuses… Valérie Simon écrit bien mais long, trop long parfois car, si son personnage de jeune fille de sang mêlé réunissant deux races ennemies depuis des générations est très bien campé et en arrive, au cour du roman, à être sympathique, les longueurs des descriptions donnent à son premier volume un petit côté indigeste qui laisse sur sa faim. Frederik Pohl a un jour, (il y a quarante ans), dit de Marion Zimmer Bradley : " Marion écrit bien mais, si elle arrêtait d’essayer de nous le prouver et commençait à nous raconter des histoires ?..." La même chose pourrait être dite de Valérie Simon, et c’est un compliment… Abusant des superlatifs et des adjectifs à contre-courant, elle nous noie dans sa prose avant de se lancer dans l’histoire proprement dite, ce qui est regrettable car son récit est beau et plein d’idées… La dame avoue un goût prononcé pour les " grandes histoires pleines de bons sentiments ", si elle en mettait un peu plus dans les siennes, d’histoires, ça ne pourrait que nous faire du bien… Pourtant, les deux tomes de cette histoire de fin du monde et d’initiation et de sauvetage de l’univers, pleine de magiciens, de monstres et de rébellions forme un bon premier roman. Malgré ses défauts, Valérie Simon promet d’être bientôt un bon auteur de fantasy, ne soyons pas méchants, il est vrai qu’on n’a pas lu de fantasy française de qualité depuis longtemps et que cette demoiselle remonte le niveau… Encore un petit effort et on y sera…

Sara Doke

Gilles SERVAT

Les chroniques d’Arcturus ***

Arcturus

L’Atalante

La légende arthurienne version science-fiction bretonne est de retour. L’exotisme des contrées de Bré, planète étrange pleine de couleurs et de senteurs étranges, les aventures du jeune Arcturus, fils de l’homme de nulle part, Skinn Mac Dana, dont le destin fabuleux se déroule doucement sous la plume de Gilles Servat est toujours aussi charmant, aussi fou, aussi extraordinairement bizarre. Les romans des " Chroniques d’Arcturus " ont cette qualité d’étrange de certains épisodes de Christin (Valerian et Laureline), cette effusion de rêves, de parfums, de folies et de couleurs innombrables… On y trouve aussi toute la morgue, toute la violence, tout le mysticisme des anciennes légendes celtiques, les femmes initiatrices et les destinées héroïques des grands guerriers d’Irlande, " ce peuple que Dieu a créé fou car toutes leurs guerres sont joyeuses et toutes leurs chansons tristes… " (TS Elliot). Homme de Bretagne, de mots et de musiques, empreint de ces légendes celtiques qui sont son héritage, Gilles Servat a la verve d’un barde d’autrefois, sait transformer ses mots en chants, ses descriptions en parfums, et nous emmène vers les contrées lointaines des légendes étranges d’un passé devenu avenir, d’un rêve mélangeant allégrement fantasy et science-fiction.

Sara Doke

Clifford D. SIMAK

Visions d’antan ***

J’ai Lu n° 4513

 

" Visions d’antan " (1956) décrit une Terre où l’écriture ne se réalise plus qu’au moyen d’un " narrateur ", machine à faire de la littérature. Plus de Bic ni de papier donc. Que faire alors si sa machine tombe définitivement en panne, et qu’on n’a plus un sou ? " Génération Terminus " (1953) reprend le thème de l’Arche stellaire : après quarante générations, les habitants du Vaisseau ont tout oublié. Seule une famille, siècle après siècle, se voit confier secrètement une Lettre et le secret de la lecture (interdite à tous) pour appréhender la finalité du voyage. Vient évidemment le Jour où le Vaisseau approche de la planète enfin trouvée, et le Héros guidera les enfants ignorants. " La Maison des pingouins " (1977), peut-être la meilleure des quatre nouvelles, conte l’étrange aventure survenant à David Latimer, désirant louer une villa isolée et déserte. Il s’y retrouvera prisonnier d’un mystérieux groupe soudainement apparu, et qui l’attendait. Ses membres y vivent heureux et comblés, nourris et blanchis, pouvant s’adonner à toutes leurs passions culturelles. Latimer parviendra toutefois à s’échapper pour déboucher… en pleine préhistoire ! L’explication viendra, incroyable. " L’Immigrant " enfin (1954) relate l’arrivée d’un homme exceptionnel, au QI de 160, élu après un concours extrêmement ardu, sur la planète Kimon, un véritable Eden. Sur Kimon résident quelques Terriens, choisis comme lui. Mais… pourquoi ? Les Kimoniens ignorent tout profit, toute monnaie, et ne vivent que pour l’épanouissement culturel. Que vient donc y faire Bishop, spécialiste en gestion d’entreprises ? La surprise sera de taille : il vient à l’école ! J’ai ressenti un intense plaisir en lisant ces nouvelles, classiques bien sûr, mais si caractéristiques de l’optimisme foncier de Simak, de sa vision de l’avenir de l’Humanité, de la modestie qui empreint toute son œuvre. Décidément, ces grands écrivains de l’Âge d’or ont encore beaucoup à nous apprendre !

Bruno Peeters

 

 

T

Léon-Marie THYLIENNE

Léon-Marie THYLIENNE

Celui qui se ressuscita **

Éditions Recto-Verso, coll. Ides… et Autres

 

Monsieur Lamersy a consacré vingt ans de sa vie à la classification définitive des sourates du Coran. Savant solitaire, n’ayant qu’un seul et unique ami, Laumaille, un écrivain plutôt joyeux, l’orientaliste découvre soudainement qu’il ne connaît rien de la vie. Laumaille lui force alors un peu la main et l’invite à assister à " L’Aimée ", un opéra qu’il vient de composer. Et voici notre Lamersy plongé dans le " vrai " monde, et son émanation la plus frivole : le théâtre ! Ce qui devait arriver, arrive : il tombe amoureux d’une toute jeune danseuse répondant au doux nom de Dora Pirlala, malheureusement jalousement gardée par sa vieille mère. Conscient de la différence d’âge, il se retourne alors vers une machine inachevée de feu son inventeur de père : la Machine à ressusciter ! Voilà en gros la trame de ce charmant petit roman belge (tout se passe à Bruxelles) que nous révèle Recto-Verso et son infatigable animateur, Bernard Goorden. Je n’ai trouvé nulle trace de ce Léon-Marie Thylienne et ne connais pas la date de parution (début du siècle ?). Le style en est adorablement désuet, la description du monde artistique d’alors finement détaillé, les personnages bien campés (la concierge-entremetteuse de l’Opéra, la mère Pirlala, sans parler du personnage principal, aux tourments assez comiques) : tout cela donne un cocktail charmant, qui plaira infiniment aux amateurs de " vieilleries ". Moi, j’ai adoré.

Bruno Peeters

 

U

 

V

Jacques VAN HERP Henri VERNES

Jacques VAN HERP

Le rescapé du Fenris ***

Éditions Claude Lefrancq en poche

 

Jacques Van Herp n’est pas seulement le brillant essayiste que tout le monde connaît (voir par exemple le célèbre et indispensable " Panorama de la science-fiction ", réédité par les Éditions Lefrancq), mais également un nouvelliste de grand talent. Brillamment préfacé par Thomas Owen, qui connaît bien l’auteur, voici un recueil double de nouvelles s’étalant sur plus d’une quarantaine d’années : les " Contes de ma ville ", centrés sur Bruxelles, et les " Contes des vagues " récits maritimes. Ces derniers, contes de pirates parfois très cruels (" The Blackjoke ") sont dans le style du Grand Aîné et Ami, Jean Ray. Les nostalgiques de sa jeunesse, avec d’innombrables souvenirs d’école (" Le Caïd ", cruel aussi), mais nostalgique également d’un Bruxelles disparu, celui d’avant la tristement célèbre " bruxellisation ". " C’est le progrès !… Tout meurt, tout disparaît ! " " Le passé meurt, tout comme les gens " (p. 94), mais ce passé l’étreint et l’obsède. " Échecs et maths " est exemplaire à ce propos : nouvelle fourmillant de réflexions diverses sur la vie quotidienne d’alors opposée à celle de nos jours, elle ravira spécialement les Bruxellois connaissant le dialecte de leur ville (pp. 87-88 : un véritable morceau d’anthologie !). Les amateurs de vrai fantastique se délecteront de " L’étudiante de Prague ", où ils retrouveront le Golem, et souligneront le grand thème mystique de la puissance des mots, ceux qui nomment et font exister (lire la méditation à ce sujet p. 115). Et " Le Chasseur " attirera les fans de Lovecraft. Pour terminer, je signalerai deux nouvelles fort amusantes, qui prouvent que Van Herp peut aisément allier macabre et comique : " Si jamais je te pince ", histoire d’enterré vivant, et surtout " De du’vel on a nek ", inénarrable histoire de pacte diabolique, joliment prolongée par une brève postface cynique. Un vrai petit bijou de fantastique, à savourer sans modération !

Bruno Peeters

 

Henri VERNES

El Matador *

Les Sosies de l’Ombre Jaune ***

Claude Lefrancq en poche n° 53 et 54

 

" El Matador " (1975) fait partie des derniers Bob Morane publiés par Marabout et, il faut bien l’avouer, ne s’inscrira, pas parmi les meilleurs de la série, malgré la proximité des " Anges d’Anankè " ou du " Poison de l’Ombre Jaune ", très réussis, eux. Sombre et confuse histoire de tueur, le roman ne laissera pas grande trace, hormis pour les passionnés. Ceci n’est pas le cas des " Sosies de l’Ombre Jaune ", un super " Bob ", lui. Où notre héros favori se verra devoir affronter les terribles créatures de Ming, qui ont le visage de… Bill Ballantine, puis de lui-même. L’affrontement Bob/Bob ne manque pas de piquant ! Et comme tout se déroule dans ce merveilleux Londres mystérieux qu’Henri Vernes (et nous tous) affectionnons tant… Si je vous dis que ce volume du cycle suit immédiatement " Le retour de l’Ombre Jaune ", vous vous précipiterez, non ? Oui.

Bruno Peeters 

Henri VERNES

La guerre du Pacifique n’aura pas lieu ***

Claude Lefrancq Attitudes

 

Superbe édition grand format pour ce 200e (oui, vous avez bien lu !) roman d’Henri Vernes. Non ce n’est pas le 200e Bob Morane, mais… c’est tout de même une aventure du Commandant. En fait, Henri Vernes a beaucoup plus écrit que l’on ne croit, romans d’aventures, thrillers, ou polars : l’un dans l’autre, ce dernier roman, après de savants calculs, a bien consacré son 200e et méritait donc amplement le bel écrin dans lequel il vous est offert. De quoi s’agit-il ? Oh, je ne vous révélerai pas toute la trame, seulement son début. De quoi vous allécher. Cela démarre très fort : près de sa belle abbaye périgourdine, Bob Morane flâne au volant de sa Jaguar type E, passe par un car-wash incongru et se retrouve rapidement en 1937 à Nankin. Suivent Sophia Paramount, qui, elle, se verra transportée à Pearl Harbour en 1941, puis Bill Ballantine à Shangaï en 1932. Les voilà tous trois, en des temps différents, confrontés à ce qui deviendra – ou risque de devenir (tout est là) – la Guerre du Pacifique. Le but, on le devine bien vite, est d’empêcher que cette terrible tuerie ait lieu. But orchestré bien sûr par… je vous laisse deviner la suite, évidente pour les aficionados. Ce Bob Morane de 283 pages (il n’y en avait plus eu d’aussi long depuis " Les Dents du Tigre " !) tient parfaitement la route, et satisfera tous les amateurs, non seulement les fanatiques d’Henri Vernes, et Ming sait combien ils sont nombreux, mais également les passionnés de voyage dans le temps et… d’uchronie possible. Je dis bien possible car Jacques Van Herp, dans une érudite postface, vous expliquera pourquoi " La Guerre du Pacifique devait avoir lieu ".

Bruno Peeters

W

Dave WOLVERTON / Kathy TRYERS Philippe WARD Stanley G. WEINBAUM

Margaret WEIS Tad WILLIAMS

Dave WOLVERTON / Kathy TRYERS

Le Mariage de La Princesse Leia *

Trêve à Bakura **

Pocket n° 5674/5675

 

Voici donc que paraissent, en poche, deux épisodes inédits de la grande saga de George Lucas. Ces deux aventures se déroulent après " Le retour du Jedi " et se situent pratiquement aux deux extrémités de ce que l’on peut attendre d’un mythe moderne comme " La Guerre des Étoiles ". Réglons tout d’abord, rageusement, le sort du " Mariage de la Princesse Leia ". Pure dérive commerciale, ce croisement entre l’univers des chevaliers Jedi et la plus délayée des aventures romantico-guimauves apportera de l’eau au moulin des détracteurs de Lucas, qui l’accusent d’exploiter sans vergogne l’univers qui l’a rendu célèbre dès 1977. Partant sur les bases ridicules que la Princesse Leia pourrait, dans un claquement de doigts, céder aux charmes d’un beau prince venu d’ailleurs (oui, c’est toujours bien " Star Wars ", vous n’avez pas zappé par inadvertance,) Dave Wolverton nous raconte comment Han Solo se lance à la conquête de la belle. Tout le suspense étant tué d’avance, puisque ceux qui ont lu la trilogie de T. Zahn savent que Leia et Han ont des jumeaux, rien ne sert de courir, il n’y a rien à trouver dans un roman de série Z où Han Solo se découvre même des ancêtres nobles (!!?).

"Trêve à Bakura " par contre explore un pan assez intéressant de la saga. Qu’arriverait-il si, après la mort de l’Empereur, des forces rebelles devaient se lier aux reliquats de l’Empire pour vaincre une menace plus grande encore, venue des confins de la galaxie ? S’ensuit un roman plein d’action, d’aventures et de réflexion sur la relativité des choses. Un chouette dérivé dans un univers qui ne cesse d’évoluer et de grandir.

Christophe Corthouts

 

Philippe WARD

Artahe ****

CyLibris Éditions

 

CyLibris Éditions est une maison exclusivement consacrée aux " premières " œuvres, qui utilise le réseau internet comme mode de commercialisation, nous déclare l’éditeur. Philippe Ward est un jeune écrivain ariégeois, passionné d’Imaginaire (sa bibliothèque compte plus de 10 000 ouvrages !) auteur d’une bibliographie de Lovecraft, et découvreur de jeunes auteurs américains. Et voici qu’à eux deux, ils nous offrent avec " Artahe " une œuvre tout à fait exceptionnelle ! Pas d’influence du Maître de Providence (si ce n’est peut-être la résurgence d’un ancien culte), mais un roman de fantastique pur, tel qu’il ne pas été donné de lire depuis très longtemps. Arnaud Costes, jeune informaticien, rejoint Raynat, son village natal, suite à une compression de personnel dans la société qui l’employait. Ce village est situé en pleines Pyrénées et c’est là que se déroulera l’action. Action rapide et lente à la fois. Arnaud accueilli par Berthe, la vieille dame qui l’a élevé, se rend petit à petit compte de mystères qui entourent son village. Mystère au sens antique du terme : Raynat est en effet consacré au culte de l’Ours depuis des temps immémoriaux. Cinq chapitres en italiques nous rappelleront la survie de ce culte venant de la préhistoire. Arnaud retrouve Cathy, son ancienne amie, devenue aveugle. Puis tout s’enchaîne, implacablement : découverte d’un squelette d’ours des cavernes (ours disparu, beaucoup plus grand que l’ours brun commun), interventions successives d’un archéologue puis d’un thériologue (spécialiste des ours), exhumation de grottes-sanctuaires dédiés à l’ours… En plus, l’on signale la réapparition d’un véritable ours gigantesque. Celui-ci tue des moutons, puis des hommes. Le maire désire faire revivre sa municipalité en créant un parc naturel. Mais Artahe, le Dieu-Ours, revient en rôdant et tue encore… Tout cela est lié au retour d’Arnaud chez lui. Arnaud qui se pose des questions : qui est vraiment Berthe, pourquoi les sacrifices ? Progressivement, il découvrira tout, jusqu’à sa propre finalité… La multiplicité des personnages ne nuit aucunement à l’intrigue, au contraire, elle l’entoure d’un tissu de relations humaines complexes et fait exister les villageois de manière particulièrement prenante. D’autant plus que Philippe Ward possède un style fluide et passionnant, digne d’un maître. Fantastique rural ? Certes, mais surtout fantastique contemporain tout court. Voici un bel exemple d’un fantastique ne devant rien au " thriller horrifique " dont semblent se gaver trop d’amateurs. Faut-il y voir l’apparition d’un nouveau genre typiquement européen ? Je ne sais, mais ce que je déclare, c’est qu’" Artahe " est un roman magistral, passionnant du début à la fin, envoûtant et magique. Une très grande réussite, que je vous conseille d’urgence.

CyLibris Éditions – 51, rue des Blancs Manteaux – 75004 Paris – France (http ://www.editions-cylibris.fr

Bruno Peeters

 

Stanley G. WEINBAUM

Les Mondes du Si **

Éditions Recto-Verso, coll. Ides… et Autres

 

Stanley Weinbaum (1900-1935) restera avant tout l’auteur de " A Martian Odyssey ", l’une des meilleures nouvelles de SF de tous les temps, parue dans " Wonder Stories " en 1934. Auteur de la mythique génération pulp, il n’eut pas le temps de donner la mesure de son talent, et mourut bien trop jeune, après n’avoir donné qu’un seul roman, " The Black flame ". Les nouvelles que voici sont fort amusantes. Elles opposent, par trois fois, le génial et excentrique professeur van Manderpootz, plus que mégalomane, à son ancien élève Dixon Wells, éternel amoureux et toujours en retard. Trois inventions " merveilleuses ", le subjonctiviseur (qui imagine ce qui ce serait passé si…, machine uchronique par excellence) et l’idéalisateur (qui crée une image idéale… de la femme, par exemple) et l’attitiniseur (qui permet de voir dans les yeux d’autrui) tournent à chaque fois à la catastrophe. La dernière nouvelle est particulièrement remarquable : comment le monde est-il vu par un génie, par un simple ingénieur, par un domestique, puis par… une mouche. Trois nouvelles divertissantes donc, mais qui n’ajoutent rien à la gloire de leur auteur.

Bruno Peeters

Margaret WEIS

L’étoile du gardien

Le sacrifice du roi **

Pocket n° 5568

 

Quand Margaret Weis n’essaye pas de vendre du jeu de rôle par " littérature " interposée, elle peut décidément être un excellent écrivain. Son cycle de " l’Étoile du Gardien " en est déjà à son troisième volume et tient vraiment bien la route. Mélange entre Star Wars et une tragédie antique, les aventures de Dion Clairfeu, héritier parfois un peu trop orgueilleux d’un royaume intergalactique et de ses compagnons de rébellion, la belle Maigrey Moriarty et le dangereux Général Derek Sagan dont on ne sait jamais s’il est avec ou contre nous, nous emmènent de plus en plus loin dans la quête du pouvoir. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, d’une très belle variation sur l’amour du pouvoir entre trois personnages pour lesquels il représente tout : Dion, Sagan et le machiavélique Abdiel aux terribles pouvoirs. Qui obtiendra le pouvoir sur le roi, qui montera sur le trône ? Nous le saurons peut-être au prochain épisode. Je l’espère en tout cas, l’attente est longue !

Sara Doke

 

Margaret WEIS & Tracy HICKMAN

LANCEDRAGON

Chroniques de Lancedragon

Dragons d’une flamme d’été *

Fleuve Noir Legend

 

Belote, rebelote et dix de der. Et un roman de jeu de rôle de plus, un. C’est excécrable, c’est mauvais, c’est catastrophique mais il paraît que ça marche. Le monde de LanceDragon est fort à la mode ces temps-ci, il faut dire que TSR et Wizards of the Coast se préparent à lancer un nouveau système de jeu basé sur cet univers. Malheureusement, si le jeu peut sûrement être amusant à jouer, les romans sont toujours aussi indigestes. Tracy Hickman et Margaret Weis, qui sont les créateurs du monde de jeu auraient sans doute mieux fait d’en rester là. Toujours est-il que ce quatrième volume des Chroniques de LanceDragon nous conte les aventures des enfants des héros précédents, qui viennent de sortir de l’enfance. Que se passe-t-il après, si vous tenez vraiment à le savoir, lisez donc le roman, seuls les curieux en auront vraiment le courage. On prend les mêmes (ou presque, une génération plus tard) et on recommence, rien ne change vraiment et la qualité d’écriture et de construction sont toujours aussi décevantes. Dommage !

Sara Doke

Tad WILLIAMS

Le trône du dragon

Le roi de l’orage ***

Pocket n° 5650/5651

 

Tad Williams était jusqu’à présent un inconnu pour les lecteurs francophones. C’est en effet son tout premier roman que Pocket nous offre ici. Depuis, il a écrit de nombreux ouvrages qui ont enchanté plus d’un amateur anglophone de fantasy. Il faut dire que Tad Williams est de l’étoffe dont on fait les auteurs de chevet. Doué d’une imagination hors du commun et d’une finesse rare, il est en passe de tous nous charmer.

" La Ligue du Parchemin ", son premier roman, donc, écrit à l’âge de 25 ans, nous dévoile l’histoire du jeune Simon qui, à quatorze ans, n’a jamais quitté le château du Hayholt, la résidence du vieux roi Jean, le tueur de dragons. Orphelin, il est utilisé pour toutes les basses besognes (quand on parvient à le retrouver dans ses rêveries) jusqu’au jour où il est remarqué par le Docteur Morgénés, le grand Mage du château.

Mais que de mystères hantent le château et le pays qui l’entoure, que sont devenus les dragons, quelle est cette fameuse ligue du parchemin, où sont passés les immortels Sithis, bâtisseurs de Hayholt ? Toutes ces questions et bien d’autres seront autant d’embûches sur le chemin initiatique du jeune Simon, promis à l’avenir d’un grand Mage.

Le style de Tad Williams est fait de précision et de finesse où vient se glisser un sens de la poésie et du mot juste qui a de quoi transporter le lecteur bien au-delà de quelques pages imprimées. Chaque terme est un fil dans un long et fastidieux tissage où chaque détour cache une idée, un rêve ou une histoire. Le jeune Simon se dévoile petit à petit, grandit et mûrit pour devenir bien autre chose que ce que l’on pouvait croire en le lisant si seul et misérable… Loin de donner un simple conte en pâture à ses lecteurs, Tad Williams semble vivre les histoires qu’il raconte, les rêver aussi.

Sara Doke

Tad WILLIAMS

La Ligue du Parchemin

Tome I : Le Trône du Dragon ***

Pocket n° 5651

 

Tome II : Le Roi de l’orage

Pocket n° 5652

 

Simon, 14 ans, accédera au Trône du Dragon, à la mort du roi Jean. À moins que les nombreux complots qui se trament au Château de Hayholt n’aient raison du fabuleux destin qui attend le jeune garçon. Alors, une malédiction séculaire pourrait bien déferler sur le monde entier, le vouant à la destruction totale.

Pour Simon commence alors une quête désespérée, dans un univers étonnant peuplé d’immortels, pourtant réputés disparus, de magiciens, de sorciers, de trolls…

Impossible de résumer fidèlement ces deux volumes (plus de 1 000 pages), au risque de se perdre dans les méandres des multiples aventures et rebondissements en tout genre.

Une seule chose est sûre : on en prend plein la vue ! Tad Williams, en auteur aguerri de fantasy, se pose en tant qu’image marquante du genre.

Mais il serait quand même bon de réserver la lecture de ce grand roman aux initiés…

Eric Albert

X

 

Y

 

Z

ZIMMER – BRADLEY Marion  Roger ZELAZNY & Robert SHECKLEY

 

Roger ZELAZNY & Robert SHECKLEY

Le Démon de la Farce ****

J’ai Lu n° 4614

Après " Apportez-moi la tête du Prince Charmant " (J’ai Lu n° 3504) et " A Faust, Faust et demi " (J’ai Lu n° 3783), nos deux compères remettent ça, pour la dernière fois, hélas, la mort de Zelazny (1995) ayant brutalement mis fin à cette collaboration brillante et burlesque. Jamais, depuis les succès éclatants de Fredric Brown dans les années cinquante, la SF ne fit autant rire. Il ne faut pas avoir lu les deux précédentes aventures du démon Azzie pour s’amuser, les aventures étant totalement indépendantes. L’intrigue est ténue : Azzie décide de monter une pièce de théâtre " immorale ", démontrant la victoire du hasard et de la personnalité sur le destin et, surtout, sur la prédestination divine. Notre facétieux héros rencontrera d’innombrables obstacles, sérieux (l’archange Michel, ou surtout le destin, Anankè elle-même), charmants (son ancienne amie Ylith, qui passa du Mal au Bien), ou inattendus (Sans-Nom, le révolté final). Peu importe la trame, finalement : l’essentiel réside dans les multiples gags célestes ou infernaux, qui raviront tout amateur de théologie ou de mythologie. Mythologie ? Oui, car les anciens dieux grecs, réfugiés dans d’obscurs limbes par l’incroyance générale, vont intervenir. Pensons à ce sujet au " Malpertuis " de Jean Ray ou à l’opéra " The Olympians " d’Arthur Bliss. Vous le voyez, ce roman est un bric-à-brac général, un fourre-tout de génie, qui exaltera les véritables amateurs : ceux pour qui la science-fiction est avant tout le domaine de l’imagination pure. Chaque page contient sa merveille d’invention, son gag ou son anachronisme, pour notre plus grande délectation. Vous qui êtes atterrés par une SF décrivant un avenir noir et atroce, vous qui êtes écœurés par le raz-de-marée " gore ", lisez " Le Démon de la farce ", rincez-vous joyeusement les oreilles, rigolez ferme, et dites-vous qu’après tout, la vie vaut vraiment d’être vécue ! Si Voltaire avait été notre contemporain, il aurait adoré ce livre, qui réunit humour, pamphlet, ironie, sarcasme, un zeste d’irrévérence et beaucoup de fine raillerie. Un livre sain (sans t, absolument) !

Bruno Peeters

ZIMMER – BRADLEY Marion

La Chute d’Atlantis

Pocket n° 5687

 

Tout le monde sait, surtout depuis le Numéro 46 de Phénix que je suis une amatrice de Bradley. Je peux être parfois objective par rapport à son travail mais certains de ses romans me sont irrésistibles. "La chute d’Atlantis" est de ceux là. L’histoire de Domaris et de Déoris, fières prêtresses d’Atlantis est belle et forte, pleine de rêves et de désenchantement, pleine d’espoir et de désespoir.

Les deux jeunes filles sont sœurs, filles du grand-prêtre, destinées elles-mêmes à la prêtrise, mais leur vie n’est pas des plus simples. Les jalousies et les haines de la cité vont les éloigner petit à petit l’une de l’autre, la belle Domaris ne voyant pas grandir sa petite sœur. Les différents dieux, les différentes croyances et toutes les prophéties qui gouvernent l’antique cité d’Atlantis vont engouffrer les deux jeunes femmes dans un cercle infernal d’ambition et d’innocence, les éloignant de la vie qui aurait pu être la leur, pour forger un nouveau destin.

Ce roman, Marion Zimmer Bradley raconte qu’elle le portait en elle depuis de très longues années, depuis son adolescence en fait, pour enfin écrire aujourd’hui cette destinée riche en rebondissement de deux êtres purs que les ambitions et la politique vont éloigner puis détruire. Ceux qui ont aimé "Les dames du lac" reconnaîtront la force des personnages et aimeront cette histoire pleine de force et de tristesse qui forge le destin d’un monde autour de la vie de deux jeunes filles pleines d’espoir confrontées aux réalités de la vie des puissants. Domaris et Déoris entreront alors dans nos bibliothèques comme dans nos cœurs, personnages riches qui nourrissent notre imaginaire.

Sarha Doke

Marion Zimmer BRADLEY

UNITE

LES RUINES D’ISIS **

Pocket n° 5605

 

Et oui, il arrive que Marion écrive un roman que l’on puisse ouvertement taxer de féministe, et encore… L’action des " Ruines d’Isis " se déroule sur une planète étrange répondant au doux nom de Cendrillon ou d’Isis pour les intimes. A la suite de quoi diverses expériences politiques plus ou moins ratées, une communauté de femmes radicales s’est installée sur la planète pour y vivre leur utopie : une société matriarcale où les hommes n’auraient aucun rôle social à part celui de la procréation. Cette nouvelle société a été fondée, à l’origine, par quelques femmes fuyant une autre planète, Pionneer abritant une société machiste à souhait ressemblant comme deux gouttes d’eau à celle des pionniers de la Nouvelle Angleterre au XVIIIe siècle.

Deux scientifiques ont pour mission d’effectuer des recherches particulières sur Isis. En effet, on a découvert sur la planète les ruines d’une ancienne civilisation qui pourraient être celle de la société des Bâtisseurs, un peuple mythique qui serait à l’origine du peuplement de la galaxie. Un problème se pose au départ de l’expédition scientifique : les matriarches d’Isis ont expressément demandé que l’archéologue en charge des recherches sur leur planète soit une femme. Malheureusement, la seule spécialiste féminine des ruines des Bâtisseurs tombe malade et souhaite envoyer à sa place son assistant ! Celui-ci étant un homme originaire de Pionneer, les autorités d’Université (la planète enseignante) ne trouvent rien de mieux à faire que de l’envoyer malgré tout sur place, mais avec sa femme, elle-même anthropologue, en la faisant passer celle-ci pour archéologue et celui-ci pour son assistant. Or, les anthropologues ont toujours été strictement interdits sur Isis…

Les aventures de nos deux savants, Cendri l’anthropologue et Dal l’archéologue sur la planète matriarcale ne seront pas de tout repos et leur couple en souffrira beaucoup.

Les positions politiques de Marion sont parfaitement respectées dans ce roman où, comme dans la plupart des utopies féministes contemporaines, le matriarcat se révèle être aussi catastrophique que le patriarcat. Mais, le plus grand intérêt de ce roman ne tient pas à de quelconques revendications politiques comme voudraient le faire croire les gens de chez Pocket mais plutôt aux relations dans le couple Cendri-Dal qui souffrent de la situation politique elle-même. En ce sens, il est vrai qu’on pourrait qualifier ce roman de féministe, à mon sens (mais je suis une femme) je le qualifierais plutôt de réaliste.

Toujours est-il que " Les Ruines d’Isis " est un excellent roman de SF, plein de rebondissements et de très bonnes idées… On est loin de Ténébreuse, il est vrai, mais on est aussi loin des terribles tentatives de dark fantasy qu’on doit malheureusement reconnaître à l’auteur. Les amateurs d’archéologie et d’éthologie apprécieront sûrement cette petite histoire d’exo-science-fiction.

Sara Doke